jeudi 14 juin 2007

Projet de Loi et rémunération des dirigeants


Nous l'avons déjà abordé précédemment, mais le sujet de la corporate governance continue à animer les déjeuners d'affaires, les cercles de décideurs, les assemblées d'actionnaires, les revues juridiques, en France comme à l'étranger, les tracts syndicaux, et, aussi...les réflexions du gouvernement. L'un des sujets les plus controversés, mais pas nécessairement le plus traité de manière rationnelle, est celui de la rémunération des dirigeants. Il n'est pas besoin de revenir sur des cas récents, que certains qualifient de scandaleux, que ce soit en France ou aux Etats-Unis d'Amérique, de dirigeants quittant une société dont les résultats financiers ne sont pas nécessairement à leur zénith, tout en percevant des indemnités de plusieurs millons d'euros.


Le projet de loi sur le travail, l'emploi et le pouvoir d'achat, entreprend de fixer certaines exigences au niveau des rémunérations des dirigeants. On peut ainsi lire, dans l'exposé des motifs (publié par le journal La Tribune) :


"Depuis la loi de confiance et de modernisation de l'économie du 26 juillet 2005, les éléments de rémunération différée des dirigeants des entreprises cotées sont soumis au régime des conventions réglementées. Elles sont par conséquent préalablement autorisées par le conseil d'administration (ou de surveillance), font l'objet d'un rapport spécial des commissaires aux comptes sur lequel statue l'assemblée générale des actionnaires et sont soumises à l'approbation de l'assemblée générale des actionnaires. Ce dispositif apparaît aujourd'hui insuffisant notamment lorsque l'ampleur de la rémunération différée apparaît, au moment de son versement, sans commune mesure avec la performance du dirigeant ou la situation de l'entreprise.

Afin de mettre un terme à de telles situations, l'article 7 prévoit :

- l'obligation de subordonner le versement de rémunérations différées à certaines conditions de performance fixées dès le départ dans la convention et appréciées par le conseil d'administration au moment du versement (seule l'éventuelle indemnité pour clause de non-concurrence n'est pas soumise à cette condition) ; les conventions en cours doivent être mises en conformité avec cette disposition, que justifie l'intérêt général, sous le délai d'un an ;

- une obligation de rendre publique dans de brefs délais la décision d'autorisation par le conseil d'administration (ou de surveillance) de la convention de rémunération différée entre l'entreprise et l'un de ses dirigeants et l'appréciation par le conseil des conditions de performance préalablement à leur versement ;

- le maintien du dispositif de la loi de confiance et de modernisation de l'économie du 26 juillet 2005 en ce qui concerne la soumission de ces conventions de rémunération, en tant que conventions réglementées, à l'assemblée générale, mais en précisant que cette soumission doit donner lieu à une résolution séparée des autres conventions réglementées et en soumettant à nouveau ces conventions aux actionnaires en cas de renouvellement de mandat."


En résumé, le législateur viendrait donc fixer un cadre au versement de rémunérations différées au profit des dirigeants. Ce versement devrait dépendre de critères de performance appréciés par le Conseil d'administration. Il reste à savoir quelle est la marge de manoeuvre du Conseil d'administration par rapport aux actionnaires et son indépendance dans la prise de décision. En dehors de cette question, ce projet de loi interpelle sur le rôle du législateur. Laissons également de coté la bizarrerie constituant à intégrer la question de la rémunération des dirigeants (sachant que sont surtout "visés" les dirigeants des grandes sociétés) dans un texte intitulé "Loi sur le travail, l'emploi, et le pouvoir d'achat"...


Sauf à considérer qu'il s'agit uniquement d'un geste politique destiné à formaliser le fait que le mode de rémunération des dirigeants de grandes sociétés constitue aujourd'hui un débat de société, on peut émettre quelques doutes quant à la pertinence d'une telle mesure législative. Certains estiment qu'il n'appartient pas au législateur de s'emparer de questions relevant strictement du domaine contractuel, et préfèreraient les voir relever d'un code de bonne conduite. Ce type de texte fait néanmoins naître certaines interrogations, notamment au niveau de leur force juridique. On peut simplement estimer que la question de la rémunération des dirigeants relève strictement des mécanismes décisionnels internes à l'entreprise, au coeur même de la relation d'agence. Si le marché fonctionne normalement, les choses devraient être assez simples. Une société dans laquelle les dirigeants seraient récompensés, alors même que leur gestion conduit à des résultats financiers médiocres (pour ne pas dire mauvais dans certains cas), devrait être sanctionnée par le marché. Les actionnaires supporteraient une perte de valeur de leurs titres. Répété sur plusieurs sociétés, le mécanisme générerait des signaux suffisamment visibles pour que des pratiques a priori non rationnelles d'un point de vue économique soient abandonnées.

Le bras de fer judiciaire entre Danone et Wahaha s'accentue


Dans un billet précédent, nous avons vu que certaines stratégies de développement international ne sont pas de longs fleuves tranquilles. Le conflit opposant Danone à son partenaire chinois Wahaha en constitue une bonne illustration. ll reste à savoir quelle stratégie juridique doit être adoptée, tenant compte de la nature du partenariat, du profil du partenaire, du contexte économique, politique et juridique du pays dans lequel le problème survient (la Chine), et bien évidemment des objectifs stratégiques de Danone. Le 4 juin, Danone accentue la pression sur son partenaire en déposant une plainte auprès de la "Superior Court of the State of California for the County of Los Angeles". Pour être plus exact, ce sont les sociétés Ever Maple Trading Ltd et Hangzhou Hongsheng Beverage Co Ltd (liées toutes les deux à Wahaha) qui sont assignées. On peut s'interroger sur le fait de savoir pourquoi l'action est intentée devant la juridiction précitée. Ces sociétés sont en fait représentées par deux personnes physiques vivant en Californie, l'une étant citoyenne américaine, l'autre détentrice d'une carte verte. Le lancement d'une procédure devant une juridiction américaine semble effectivement plus pertinente que devant, par exemple, une juridiction des Iles vierges (pays où est domiciliée la société Ever Maple Trading).


En terme de "performance judiciaire" potentielle, comment analyser ce choix de la part de Danone ?

On peut penser que l'obtention de dommages et intérêts n'est pas la motivation première de Danone. Cette procédure judiciaire très médiatisée (Danone a largement diffusé son communiqué de presse, comme l'atteste sa reprise dans un nombre impressionnant de journaux et de sites web) peut avoir pour objectif d'affaiblir le partenaire, et par là même de le rendre plus vulnérable à une OPA (ce qu'a déjà tenté Danone, mais pour l'instant sans succès). Elle peut aussi plus simplement être utilisée comme un levier pour une négociation.


Toutefois, dans cette stratégie juridique, il y a fort à parier que Danone a pris en considération un risque stratégique majeur. En effet, le partenaire chinois de Danone détient vraisemblablement en Chine des appuis politiques non négligeables. De plus, il va attiser la fibre patriotique et tenter par tout moyen de détériorer l'image de Danone en Chine. Eu égard à la culture chinoise, le risque stratégique est réel.


Stratégies juridiques/judiciaires et Web 2.0




La saga YouTube vs Droits de propriété intellectuelle continue. La Ligue Française de Football et la Fédération Française de Tennis viennent en effet de se joindre à une class action intentée devant la "US District Court for the Southern District of New York". Les défendeurs sont les sociétés Youtube et Google. Les plaignants sont The Football Association Premier League ltd et la société Bourne Co. Les cabinets d'avocats Proskauer Rose et Bernstein Litowitz ont mis en place un site web destiné à "gérer" la communication sur cette class action. Ce site est intéressant à parcourir et semble montrer que d'importants moyens sont déployés. On peut donc noter que les deux fédérations sportives françaises venant de rejoindre la class action s'inscrivent résolument dans une stratégie de performance judiciaire. En allant profiter d'une action en justice lancée par un tiers, dans un pays où il existe un régime de class action, elles tirent partie de l'environnement juridique international. Les class actions semblent se développer dans le contexte de la guerre sur les technologies et l'e-business. En effet, il y a maintenant deux ans, le groupe Checkmate Strategic lançait une class action à l'encontre de Yahoo (class action clik fraud).

Plusieurs articles sont utilement consultables pour mieux comprendre les mécansimes des class actions (dont on se demande encore si elles verront finalement le jour dans le système juridique français). Entre autres :

- N. Marceau and S. Mongrain, Damage averaging and the formation of class action suits, International Review of Law and Economics 23, 2003, p. 63-74
- J. D. Cox, Does the plaintiff matter ? An empirical analysis of lead plaintiffs in securities class actions, Columbia Law Review, Vol. 100, 2006, p. 101-183
- M. Geistfeld, Risk-Preference asymmetries in class action litigation, Notes in Harvard Law Review, Vol. 119, 2005, p. 587-608

La stratégie juridique choisie par YouTube va être d'autant plus intéressante à suivre que la version française de YouTube sera bientôt disponible. La stratégie de développement international de cet acteur majeur du Web 2.0 ne se fait pas dans un contexte de sérénité absolue...Qui plus est, les concurrents s'activent. Dailymotion continue à tisser sa toile de contrats de licence; Soapbox de Microsoft est à nouveau opérationnel. Parallèlement, Google relance une action à l'encontre de Microsoft, lui reprochant le caractère anticoncurrentiel de son comportement dans le cadre de la mise en place du système d'exploitation Vista. L'outil de "desktop search" de Vista ne pourrait être désactivé par l'utilisateur. Dès lors, si ce dernier souhaite avoir recours au "desktop search" de Google, il en serait quelque peu découragé. Rappelons que Microsoft, pour sa part, aurait selon certaines sources souhaité que la FTC américaine diligente une enquête dans le cadre du rachat de doubleclick par Google.

On le voit, la concurrence entre acteurs majeurs du e-business et des technologies de l'information se nourrit de plus en plus d'un recours au droit en tant qu'arme offensive...et défensive.