mercredi 28 novembre 2007

Oeuvres artistiques et Téléchargement : Aux Armes etc.



Le débat sur la "piraterie" sur Internet est de ceux qui conjugue la complexité. Entre les intérêts des internautes, qui sont à la fois des individus et des consommateurs, ceux des artistes, des producteurs, des distributeurs, des fournisseurs d'accès, etc., où est l'utile équilibre ? Je préfère parler d'utile plutôt que de juste (débat classique, notamment chez les juristes), parce que le juste en la matière me paraît pour le moins délicat à déterminer. Quant à l'utile ? Il n'est guère aisé, non plus, à cerner, car l'utilité des acteurs de l'économie n'est malheureusement pas nécessairement alignée. Néanmoins, l'équilibre à trouver entre l'utilité d'un bien pour le consommateur et celle pour le producteur et les différents intermédiaires impliqués dans la circulation de ce bien, peut être approchée en ayant recours à des modèles d'analyses des comportements.

Denis Olivennes a remis récemment son rapport sur le développement et la protection des oeuvres culturelles sur les nouveaux réseaux. Point de vue très personnel : pourquoi ce recours à l'expression "oeuvres culturelles" ? Pourquoi pas "oeuvres artistiques" ? L'utilisation du terme "culturelle" n'est certainement pas le fruit du hasard. Le recours à ce mot me semble d'autant plus inopportun qu'il donne un argument aux opposants à l'approche "protectioniste excessive". En effet, la culture ne doit-elle pas être accessible à tous ?

Les réactions au Rapport Olivennes et l'accord signé entre diverses organisations sont, sans surprise, très contrastées. Chez les mécontents, ou les sceptiques, les motivations peuvent être différentes. Certains sont motivés par des considérations philosophiques (il est interdit d'interdire...), d'autres par un souci de préservation des libertés individuelles, d'autres encore par la menace qui pourrait peser sur leur business model (Youtube, Daily Motion notamment).

La question de la Performance Juridique trouve ici sa place. En effet, les acteurs des industries musicales et cinématographiques (entre autres) veulent utiliser le droit pour améliorer leur performance et éviter la destruction et l'affaiblissement de leurs actifs. On ne peut que les comprendre. Mais se pose aussi, de toute évidence, la performance du futur texte réglementaire ou législatif. Ce texte ne sera performant que s'il atteint ses buts, et en particulier, puisque tel semble être le cas, celui de préserver la performance dans ces secteurs industriels.

L'une des conditions de base va résider dans la légalité ou la conformité à la Constitution (et à certaines conventions internationales) du texte en question. Un certain nombre d'arguments ont d'ores et déjà avancés par l'UFC-Que Choisir. Certains sont très intéressants, mais d'autres m'ont pour le moins laissé songeur...Ainsi le raisonnement basé sur le droit des contrats et l'absence de cause. En quoi est-il juridiquement infondé de prévoir dans des conditions générales d'utilisation d'un service (en l'espèce l'accès à Internet) les modalités de cette utilisation ? L'UFC développe son raisonnement sur les éléments liés à la validité du contrat (formation), alors que le débat, à mon sens, se situe au niveau des éléments liés à son exécution, ce qui n'est pas tout à fait la même chose...

Ceci étant dit, la performance d'un texte de loi ou réglementaire, a fortiori lorsqu'il est censé soutenir le développement d'une économie, doit aussi se mesurer à l'aune d'autres critères. Notamment : quel est le coût des mesures techniques et juridiques instituées par le texte ? Quel est le résultat des mesures en question ? Ont-elles entraîné une meilleure performance dans le secteur industriel en cause ? Sans vouloir jouer au Cassandre, certains travaux de recherche menés aux Etats-Unis (voir l'un de mes billets précédents) montrent que l'efficacité à terme de mesures répressives dans le domaine des téléchargements PtoP est faible, voire inexistante. L'effet de dissuasion est très limité dans le temps.

Pour conclure, il est dommage (mais pas nécessairement curieux) que la réflexion sur la licence globale n'ait pas été remise au goût du jour. Pour l'anecdote, j'ai été surpris de voir et d'entrendre il y a quelques jours, sur une chaîne de télévision, un représentant de l'industrie musicale citer l'exemple de la vente du CD de Bénabar, en comparant au nombre de téléchargements illégaux de ce CD. Or l'impossibilité technique de mesurer finement ces téléchargements, en vue de déterminer ensuite la part devant être reversée à chaque artiste, n'est elle pas l'un des arguments avancés à l'encontre de la licence globale ?

Si le futur texte est à dimension économique, et non à dimension philosophique, alors son efficacité économique devra être impérativement étudiée. Si sa dimension est philosophique, alors qu'elle soit présentée comme telle.