samedi 5 mai 2007

Loi DADVSI et performance législative




Qu’est-ce qu’une loi performante ? On pourrait tout simplement dire que c’est une loi qui atteint ses objectifs, dès lors que ceux-ci sont attachés au bien-être de la société. Il semblerait (mais est-ce vraiment une surprise ?) que la loi « DADVSI » (LOI n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information) ne le soit pas…En dehors de toute position idéologique, il convient d’observer objectivement certaines données.

En effet, dans un rapport commandé par le ministre de la culture, Renaud Donnedieu de Vabres, (rapport dont a peu parlé pour l’instant, sauf dans les milieux « concernés »), Jean Cédras dresse un constat plutôt négatif quant à la performance de la loi DADVSI. Ce rapport est disponible sur le site de la Ligue Odebi. Peut-être est-il trop tôt pour dresser un constat fiable de l’efficacité de cette loi. Toutefois, la baisse des profits sur la vente des CD musicaux se confirme, sans être compensée par une augmentation équivalente du profit réalisé grâce aux téléchargements payants de fichiers musicaux. Mais est-ce une réelle surprise ? Plusieurs études menées par des chercheurs ont montré qu’aux Etats-Unis, la mise en place d’un cadre plus répressif n’a pas eu sur la durée d’effets positifs sur la vente de fichiers musicaux. On peut notamment citer l’article de Liebowitz (File sharing : creative destruction or just plain destruction ?; Journal of Law and Economics, 2006, Vol. 49, n°1, p.1-28) et celui de Mardsen, Bhattacharjee, Gopal et Lertchwara (Impact of legal threats on online music sharing activity : an analysis of music industry legal actions, Journal of Law and Economics, 2006, Vol. 49, n°1, p. 91-114). On peut d’ailleurs rapprocher ce type d’analyse de celle menée par un étudiant EDHEC, Cyrille Ferrero, dans le cadre d’un papier publié sur le site juriscom.net. Dans ce papier, il montre qu’un internaute qui serait guidé strictement par une stricte rationalité économique (hypothèse d’école peut-être…) est plutôt incité à télécharger illégalement des fichiers musicaux. En effet, quand on prend les sanctions prononcées par les juges sur dans un ensemble de décisions données, et qu’on ramène ces sanctions au nombre de morceaux téléchargés, il apparaît que le coût par unité pour l’internaute est inférieur à celui qu’il aurait assumé s’il avait acheté les morceaux en question sur une plate-forme légale et payante. CQFD…

Comment rendre une telle loi performante ? Soit en se donnant les moyens des poursuites judiciaires, avec des sanctions à la hauteur de l’économie réalisée par l’internaute (utopique). Soit en mettant en œuvre des moyens techniques rendant le téléchargement illégal impossible ou extrêmement difficile (non réaliste). Soit en substituant un autre dispositif à cette loi, qui soit plus performant, en ce qu’il permettrait une vraie relance de l’industrie musicale, dans l’intérêt de tous. Finalement, la licence globale est-elle potentiellement moins performante que le système qui prévaut actuellement ? A voir…….

jeudi 3 mai 2007

Danone et Wahaha : le contrat peut-il être un outil juridique de gestion des risques performant dans un environnement incertain ?


Dans Les Echos du Jeudi 26 avril, Franck Riboud, PDG de Danone, répond à une interview dans laquelle il est interrogé sur le litige opposant Danone à Wahaha.

Il est intéressant de suivre l'historique de la saga "Danone-Wahaha". En 1996, le groupe français met en place un joint venture avec la société chinoise Wahaha. Je dois avouer que j'ai quelque peu tatonné afin de comprendre la nature des rapports entre ces deux groupes...En fonction des journaux ou des magazines, les termes utilisés sont différents. J'ai finalement déniché un blog fort intéressant, "Peering.into.the.interior", qui m'a paru expliquer de manière claire et compréhensive les relations "de plus de 1O ans" entre ces deux groupes. Le groupe Wahaha comprendrait en fait plus de cent filiales ayant d'ailleurs dans leur dénomination sociale les lettres "w.a.h.a.h.a.". Parmi ces filiales, une quarantaine correspondent à des joint ventures constitués avec le groupe Danone. Le groupe français a pu ainsi pousser ses pions sur l'échiquier de l'Asie (notamment sur le marché des boissons) en s'appuyant sur une stratégie d'alliance (sur l'analyse de la stratégie marketing de Danone en l'espèce, voir l'excellent billet de Jean-François Arnaud). Mais Danone a découvert que son partenaire chinois avait mis en place, en parallèlle, son propre réseau de production et de distribution, pour couvrir les régions du centre et de l'ouest de la Chine. Danone a proposé d'acheter 51% du capital de Wahaha, ce qui a été rejeté, l''approche ayant été mal perçue par le partenaire chinois, et le prix d'achat trop faible.


Aujourd'hui, Danone a un très intéressant challenge à relever. Eviter de voir les filiales communes cannibalisées par des sociétés distribuant les mêmes produits sur le marché, à un prix inférieur à celui des produits fabriqués et distribués par les filiales communes. En résumé, Danone est en quelque sorte passé du statut de partenaire à celui de concurrent (pour reprendre la formule judicieuse du blog "peering into the interior".


Quant aux aspects juridiques, Franck Riboud livre dans son interview deux éléments qui nous paraissent tout à fait intéressants :

- "Notre partenaire est sous la menace de poursuites judiciaires...Mais nous sommes en Chine, et dans ce pays les choses ne se règlent pas sur le seul terrain juridique. Il faut négocier".

- "Wahaha est la seule société commune que nous contrôlons mais que nous ne pilotons pas en direct".


Dans une stratégie de développement international, il est donc important de tenir compte de la culture du pays et de son système juridique/judiciaire. De plus, une stratégie de développement international pose toujours la question des outils juridiques que l'on va utiliser : prise de contrôle, création d'une filiale commune (mais sous quelle forme juridique et avec quelles clauses contractuelles), création de succursales...


Je ne résiste pas au plaisir de joindre le lien vers le site de Wahaha que je trouve, avec mes références occidentales, délicieusement kitsch.


De nouvelles confrontations entre prises de contrôle (réelles ou potentielles) et outils juridiques




Le recours à la justice : Dans le cadre de l'OPE lancée par Sacyr sur le groupe Eiffage, le conseil d'administration de ce dernier a rejeté l'offre, tout en annonçant engager une action en justice pour non déclaration de franchissement de seuil,et alors même que le dossier est dans les mains de l'AMF



Intervention de l'Autorité de Contrôle : La COPA (Commission Suisse des OPA) a demandé au groupe Scor de retarder son OPA sur la société Converium, eu égard à la plainte déposée par cette dernière devant la United States District Court for the Southern District of New York. Converium reproche notamment à Scor d'avoir, de manière déloyale et illégitime, exclu les actionnaires américains de son offre publique d'achat.



Recours à l'outil conventionnel-le plafonnement des droits de vote : les actionnaires du groupe Schneider ont rejeté un projet de résolution destiné à supprimer la clause statutaire fixant le plafonnement des droits de vote à 10%, sauf pour tout actionnaire détenant plus de 66% du capital (on notera au passage qu'il s'agit du seuil de contrôle absolu dans une SA). Quant aux actionnaires de Danone, ils ont également rejeté le projet de suppression de la clause statutaire de limitation des droits de vote

Clause statutaire d'obligation de déclaration de franchissement de seuil : Sharp souhaite mettre en place une clause statutaire d'obligation de déclaration de franchissement du seuil de 20%.

Point sur la Performance Judiciaire en Europe


Le CREDA vient de publier chez Litec un intéressant rapport sur l'évaluation des différents procédés de réglement des litiges en Europe. Ce rapport comprend notamment des regards de juges européens sur le réglement des litiges dans plusieurs pays de l'UE, ainsi qu'une enquête menée auprès de juristes d'entreprise et d'avocats.

mercredi 2 mai 2007

Viacom vs Youtube : Internet Kills the Video Stars




Dans un court papier que j’ai rédigé très récemment pour Les Echos, mais non encore publié, j‘évoque les nuages gris qui s’accumulent sur la tête de Youtube (et de Google). Sans revenir ici sur le contenu de l’article en question, je m’interroge sur le niveau de risque que présente un modèle économique tel que celui-ci de Youtube. Dès lors que la qualification d’hébergeur nous parait contestable pour Youtube, c’est l’ensemble du risque juridique qui s’en trouve transformé. La performance juridique va en l’espèce se mesurer à l’aune de la capacité de Youtube à justifier cette qualification juridique ou à utiliser efficacement le recours au contrat de licence afin de sécuriser son activité. Toutefois, cette dernière solution changerait radicalement le modèle de Youtube…

Notre ami et collègue Cédric Manara m’a envoyé la plainte déposée par Viacom à l’égard de Youtube devant le « United States District Court for the Southern District of New York », ainsi que la réponse « en défense » de Youtube. Viacom développe dans un premier temps une critique soutenue du modèle retenu par Youtube, et par lequel Youtube s’approprierait la valeur de contenus créatifs à une très large èchelle, sans paiement d’aucune licence. Bien que Youtube se présente comme un forum pour les utilisateurs souhaitant partager leur propre contenu original en vidéo, Viacom considère qu’une très large part de ces contenus constituent des copies d’œuvres protégées, telles que South Park, MTV Unplugged, etc. Viacom a identifié plus de 150.000 clips video sur lesquels Viacom est titulaire d’un copyright ; ces clips auraient été vus sur Youtube plus de 1,5 milliard de fois ! Qui plus est, Youtube n’aurait fait que très peu d'effort afin de prévenir ces copies massives. Bien au contraire, la construction d’une vaste bibliothèque comprenant les contenus en cause constitue le modèle économique de Youtube, ce qui a permis à l’entreprise de développer ses parts de marché, de gagner des revenus significatifs et d’augmenter la valeur de l’entreprise. L’achat de Youtube par Google en constitue l’évidente illustration. Selon Viacom, Youtube a réussi le tour de force d’atteindre ces objectifs en transférant le contrôle de son site aux titulaires des copyrights. Ceux-ci doivent en effet consulter le site tous les jours afin d’y détecter d’éventuelles violations de leurs droits. Mais Viacom va encore plus loin dans son offensive, en reprochant à Youtube d’avoir mis en place des fonctions permettant aux utilisateurs d’empêcher les titulaires des droits de pouvoir détecter l’existence d’atteinte à ceux-ci.

Viacom développe ensuite dans sa plainte la nature de son action en justice, en la plaçant sur le terrain de la Section 106 du Copyright Act of 1976, 17 U.S.C. § 101 et seq. Viacom revient en détail sur la manière dont Youtube copie les vidéos dans son propre format de logiciel, les ajoute sur son propre serveur, et les rend disponibles à la consultation sur son propre site. Youtube met à la disposition des utilisateurs des « micro photos » (vignettes) afin de leur permettre de visualiser ce qui les intéresse. La description de l’accès aux vidéos sur Youtube est parfaitement détaillée par Viacom.

Viacom insiste sur le fait que Youtube a totalement conscience de ses actes (et de la vaste contrefaçon qu’elle commet). Ces actes sont bel et bien commis sur le site dont Youtube est propriétaire, comme l’atteste les conditions générales d’utilisation présentes sur le site. Comble de l’ironie, ces CGU font apparaître que Youtube demande aux utilisateurs de lui accorder une licence mondiale en vue d’utiliser, de reproduire, de diffuser, de représenter, etc…les vidéos que les utilisateurs ajoutent sur le site. Viacom reproche à Youtube d’avoir échoué dans la mise en place de mesures qui pourraient réduire considérablement (voire éliminer) l’énorme volume de copies illicites circulant sur le site. Or Youtube a le droit et la capacité de les contrôler. L’incurie de Youtube (toujours selon Viacom) est d’autant plus blâmable qu’elle a montré sa capacité à gérer les protections adéquates pour les contenus sur lesquels elle avait acquis au préalable une licence…

Viacom conclut donc à la violation de copyrights par représentation auprès du public de contenus protégés, par diffusion publique, reproduction de ces mêmes contenus, contribution à la violation de copyrights, entre autres choses.

Dans sa réponse à la demande de Viacom, Youtube s’appuie sur le DMCA (Digital Millennium Copyright Act) qui fait, selon elle, la balance entre les droits des détenteurs de copyright et la nécessité de protéger Internet en tant que nouvelle forme de communication. Pour Youtube, la plainte de Viacom met en danger la manière dont des centaines de millions de personnes échangent légitimement des informations, des nouvelles, des opinions politiques, etc…Youtube se présente comme respectant l’importance des droits de propriété intellectuelle et les règles en vigueur dans le cadre du DMCA. Déniant la plupart des allégations développées par Viacom dans sa demande, Youtube reconnaît toutefois certains éléments : le site est bien un forum dédié aux utilisateurs afin qu’ils puissent partager des contenus originaux ; le site de Google contient effectivement une fonction de recherche des vidéo clips, incluant des liens vers Youtube ; Youtube encourage les utilisateurs à « poster » des vidéo clips ; le procédé de stockage décrit par Viacom est exact ; les utilisateurs de Youtube doivent accepter les CGU avant de « poster » des vidéo clips, ces CGU contenant certaines restrictions quant aux types de vidéo clips autorisés ; Youtube a bien envoyé des lettres à des tiers dans lesquelles il leur est reproché d’avoir permis à des utilisateurs de faire une utilisation non autorisée des services de Youtube ; Youtube dispose effectivement de moyens de protection pour que les titulaires de copyright puissent trouver les vidéo clips ayant été « postés » par les utilisateurs ; après l’acquisition de Youtube par Google la fonction « recherche » à la disposition des utilisateurs permet d’identifier 1000 vidéo clips pour chaque requête faite par l’utilisateur; Google a annoncé être en mesure dans l’avenir de fournir des technologies anti-piratage.

Youtube rejette néanmoins l’ensemble des violations alléguées par Viacom, et ce pour plusieurs raisons : la protection par la règle du « port sur » (safe harbors) du DMCA, l’existence de licences expresses ou tacites accordées par Viacom, la protection par la doctrine du « fair use » (usage loyal), entre autres.

A suivre donc…Mais la performance juridique résidera, selon nous, dans la capacité de Youtube à évoluer vers un modèle différent en ayant recours aux contrats de licence.