samedi 28 avril 2007

La fin des défenses anti-OPA n'est pas pour demain


Le débat sur le caractère bénéfique (ou non) des OPA hostiles n’est pas nouveau, de même que celui sur les moyens de défense contre de telles opérations. Il y a des farouches opposants à ces moyens, qui considèrent qu’ils privent potentiellement les actionnaires d’un profit intéressant en cas d’apports de leurs titres à l’offre, et qu’ils enracinent illégitimement les dirigeants. Plusieurs éminents professeurs de la non moins éminente Harvard Law School prennent régulièrement, dans leurs articles, des positions en ce sens (notamment Subramanian et Bebchuk). Pour d’autres auteurs, certains moyens sont acceptables (Rose). Pour d’autres encore, les moyens de défense anti-OPA sont bénéfiques car ils stabilisent la structure dans le développement de sa stratégie et peuvent laisser le choix aux dirigeants de freiner l’OPA hostile ou d’en augmenter le coût pour l’initiateur, ce qui augmente le bien être des actionnaires (Gordon, Bainbridge).

Une large littérature est consacrée aux mérites comparés des mesures anti-OPA qu’une société domiciliée dans l’Etat du Delaware peut mettre en œuvre (voir notamment le dernier article de Guhan Subramanian : « The emerging problem of embedded defenses : lessons from Air Line Pilots Ass’n, International v. UAL Corp.", Harvard Law Review, 2007, Vol. 120, p.1239-1250) . En fonction des objectifs recherchés par les dirigeants de la société cible, et de l’adéquation des moyens de défense avec ces objectifs, il semble possible de mesurer le degré de performance de ces outils juridiques.

Au niveau de l’Union Européenne, les autorités semblent vouloir depuis plusieurs années fluidifier le marché des prises de contrôle. Ainsi la Directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 a fixé pour objectif aux Etats membres de mettre en place des règles afin d’assurer le bon déroulement des offres, de rendre transparents les moyens de défense anti-OPA, et d’éviter que les dirigeants ne puissent exercer un pouvoir trop fort au sein de la cible pendant le déroulement de l’offre . Le rapport d’étape sur la mise en œuvre de cette Directive au sein des Etats membres semble montrer que ceux-ci ont plutôt favorisé une approche « protectionniste » et les moyens de défense anti-OPA ont encore un avenir prometteur. Les bons « patriotes » institués par la loi n°2006-387 du 31 mars 2006 en constituent une preuve. Ils ont déjà été adoptés par des sociétés telles que Veolia, Essilor, Suez.

Plusieurs cas récents d’OPA hostiles ont donné l’occasion de vérifier la performance de certains instruments de défense.

Le recours à une holding dont la forme juridique peut offrir un verouillage intéressant : OPA de Mittal sur Arcelor. Mittal s’était engagée auprès de ThyssenKrupp à lui céder le contrôle de la société Dofasco (filiale d’Arcelor) en cas de succès de son OPA sur Arcelor. Cette dernière plaça alors le contrôle de Dofasco, « dans les mains » d’une holding sous la forme juridique d’une fondation de droit néerlandais. Il devenait alors très difficile pour ThyssenKrupp d’obtenir la cession de ce contrôle…Le 23 janvier 2007, le tribunal de Rotterdam rejeta alors la demande faite par ThyssenKrupp d’obliger Mittal à dissoudre la fondation de droit néerlandais. Il est d’ailleurs amusant d’observer cette demande, alors même que Thyssen utilise également des moyens de défense anti-OPA, notamment le renforcement au sein de son conseil d’administration de la présence de la Fondation Von Bohlen und Halbach.

L’action en justice, qui prend d’ailleurs parfois l’aspect d’une véritable guérilla judiciaire, constitue un autre moyen de défense observé ces derniers temps. Ainsi la société Novagold a tenté en septembre dernier de faire bloquer l’OPA inamicale lancée sur elle par la société Barrick Gold, au motif que les informations transmises aux actionnaires étaient insuffisantes. La Cour de District de l’Alaska rejeta la demande.

Dans un autre contexte, c’est-à-dire hors du champ des OPA hostiles, la société espagnole Sacyr se prépare à contester devant les juges la décision prise lors de l’Assemblée Générale de Eiffage. Les actionnaires, réunis en AG, viennent en effet de décider d’annuler les droits de vote attachés aux actions dépassant le seuil du tiers et détenus de concert par un ensemble d’actionnaires espagnols. Pourquoi une telle décision ? Dans quel but ? Les dirigeants d’Eiffage s’appuient sur un argument dont l’avenir devant les juges reste quelque peu incertain. Selon ces dirigeants, les divers actionnaires espagnols agissaient de concert, et la somme de leurs actions dépassait largement le seuil de 33,3%. Dès lors, ces actionnaires auraient du, conformément aux dispositions du Code de commerce, déclarer le franchissement. L’article L.233-14 de ce même Code prévoit que les actions en cause seront privées des droits de vote. L’incertitude est liée à la démonstration de la réalité de l’action de concert. Quant au but recherché, il était simple : éviter la montée en puissance de ces actionnaires espagnols au sein du conseil d'administration du groupe Eiffage. Mais un deuxième but se cache peut-être derrière ce premier : forcer ces actionnaires à déclarer une OPA, avec un prix qui pourrait alors intéresser certains des actionnaires français... Encore une partie de billard à plusieurs bandes ?

La Performance Juridique est ici synonyme de choix judicieux des bons outils de défense contractuels dans l'hypothèse future d'une OPA hostile. Nous pensons que les plus performants sont ceux dont on ne parle pas devant le juge, car ils sont décidés et mis en place suffisamment tôt (Quid de la Commandite par actions........).

Sanofi-Aventis, un cas d'école


Comme nous l'avons conclu dans le post précédent, la performance juridique ne consiste pas uniquement à déposer un brevet lorsqu'il est censé être l'outil de protection le plus adéquat. L'entreprise doit aussi être capable de défendre son brevet et d'étendre au maximum sa portée. Dans des secteurs tels que l'industrie pharmaceutique, la question est capitale, et le cas de Sanofi-Aventis tout à fait révélateur.
Le brevet détenu par Sanofi-Aventis sur le Plavix est en effet contesté par un génériqueur canadien, Apotex. En attente d'une décision du juge sur la validité du brevet, Apotex a inondé le marché avec son produit générique. Le chiffre d'affaires de Bristol-Myers-Squibb, qui vend en commun avec Sanofi-Aventis le Plavix sur le marché américain, s'en trouve sérieusement atteint. En effet, le Plavix repésente environ 1/3 de son C.A. Les analystes financiers prévoient des pertes conséquentes pour les acteurs pour lesquels la décision du juge serait défavorable. Sanofi-Aventis doit également encaisser le choc de la fin de sa protection sur le Stilnox, le brevet arrivant à expiration aux Etats-Unis.

Dans de telles contextes, l'entreprise doit anticiper les risques, sous peine de voir sa performance sur le marché sérieusement écornée. D'une part, se doter d'un process de gestion du cycle de vie de l'innovation. Ainsi Sanofi-Aventis remplace le Stilnox par un nouveau produit, bien évidemment tout autant protégé par le brevet. Quant au Plavix, il faut espérer que Sanofi-Aventis a suffisamment exploité la rente que lui a conféré ce produit. Du point de vue d'Apotex, il est raisonnable de penser que l'entreprise a mené ses calculs profit réalisé / conséquences financières si le brevet n'est pas remis en cause, et l'on peut penser que le ratio est positif...
On comprend pourquoi de nombreuses entreprises se dotent de portefeuille de brevets conséquent. En effet, les échecs subis sur certains doivent pouvoir être (largement) compensés par les réussites obtenues avec d'autres. Chaque performance "individuelle" n'a de sens que rapportée à la performance globale.

La contestation de brevets peut être une arme redoutable, et le risque afférent doit être totalement intégré dans la gestion du risque d'innovation par l'entreprise innovante. Encore récemment, une société clermontoise, Metabolic Explorer, voit la demande de brevet qu'elle a effectuée sur des procédés de biosyntèse, contestée par la société Heurisko. L'attaque vient d'autant plus au mauvais moment que Metabolic Explorer s'apprête à entrer en bourse.
Quant à Microsoft, la firme de Redmond a été condamnée à payer 1,5 milliard de dollars à Alcatel Lucent pour violation de brevets relatifs à la norme de compression MP3. On notera au passage qu'un porte parole d'Alcatel Lucent a déclaré : "Intellectual property is a core asset of the company". Dans une autre affaire opposant les mêmes protagonistes, la même juridiction, décidemment bien mise à profit, vient de rejeter la demande d'Alcatel (brevets déposés dans le domaine de la reconnaissance vocale).

Pour terminer, il est intéressant de rappeler que les sommes en jeu sont parfois colossales, et les enjeux stratégiques majeurs. On ne peut donc s'étonner que certaines entreprises se soient spécialisées dans la contestation de brevets ou que certaines personnes (pour le "fun" ...) s'attachent à faire annuler certains brevets. Le blog de Peter Calveley, qui tente de faire annuler le brevet déposé par Amazon sur son fameux "one click", est à ce titre fort intéressant.

Les brevets, levier de performance




Chacun sait qu'aujourd'hui, dans de nombreux secteurs d'activités et entreprises, les actifs stratégiques sont de plus en plus liés à des innovations (l'innovation en elle-même, le savoir-faire qu'elle a nécessité et que l'entreprise doit être capable de déployer à d'autres occasions, la capacité à valoriser l'innovation et à la protéger, etc...). Bien évidemment, la performance juridique va s'exprimer notamment dans le choix des outils de protection adéquats. Le brevet occupe ici une place de choix. On stigmatise souvent le manque d'audace et d'activités des entreprises françaises en matière de brevet. Le baromètre Alma Consulting l'a encore montré récemment : 52% d'entre elles déclarent ne pas avoir de politique active de valorisation de brevets. 62% l'expliquent par le fait que leur stratégie n'est pas de les valoriser.


Cela n'est guère rassurant. Le classement 2006 des entreprises déposant le plus de brevets auprès de l'USPTO est peu surprenant :
1- IBM (3651 patents)
2- Samsung (2453 patents)
3- Canon (2378 patents)
4- Matsushita (2273 patents)
5- HP (2113 patents)
6- Intel (1962 patents)
7- Sony (1810 patents)
8- Hitachy (1749 patents)
9- Toshiba (1717 patents)
10- Micron Tecnology (1612 patents)


Même les banques commencent à être actives sur le front des brevets. Leur objectif est de protéger leurs produits et méthodes nouvelles en matière financière. Le brevet peut donc constituer un instrument juridique de soutien à la performance de l'entreprise. Mais nous verrons dans notre prochain post que la performance juridique va en l'espèce exiger une capacité à faire face à diverses actions liées au dépôt du brevet

jeudi 26 avril 2007

Risque Judiciaire et Performance Financière : Hedge Funds et Litigation


Dans son numéro du 1er février, L'Agefi Hebdo publie un article sur le devéloppement à Londres des litigation fundings. Les hedge funds s'impliquent en fait dans le paiement de frais judiciaires, généralement dans le cadre d'arbitrage dans des situations de faillite. En finançant ces poursuites, les fonds londoniens espérent récupérer une partie des indemnités versées. Evidemment, cette activité est risquée. La capacité des Hedge funds à évaluer le risque de perdre ou de gagner, et à quelle hauteur, et donc en d'autres termes de mesurer le risque judiciaire (lato sensu), déterminera la performance de leur investissement.

Mais cette avancée des Hedge funds sur le terrain de la performance judiciaire était déjà signalée en février 2006 par le NY Times et le Faculty Blog de la Law School de l'Université de Chicago.
Sans surprise, quand on connaît l'idéologie de l'école de Chicago, les auteurs du Blog soutiennent ces actions de la part des Hedge Funds dans la mesure où elles vont générer plus de concurrence dans l'élaboration et le financement de poursuites judiciaires,et donc de meilleurs résultats pour les demandeurs. Leur conclusion est d'ailleurs sans équivoque : "Is there any reason we should discourage this kind of market ?"

Lawcash, spécialiste de la prise en charge du risque judiciaire aux Etats-Unis, communique même à la TV

Performance Judiciaire : le cas de Leclerc


Le conflit judiciaire est évidemment une source de risque pour l'entreprise. Ce risque est a priori négatif pour l'entreprise se voyant sanctionnée par un juge, mais il sera alors à rapprocher du profit réalisé par l'entreprise dans le cadre de l'action à l'origine de ce conflit. Cette réflexion renvoie à la notion de Coût Judiciaire Probable. Il faut néanmoins être prudent car le ratio profit réalisé / coût lié à la décision judiciaire, même s'il semblera favorable, peut cacher un coût plus important, qui est celui de la destruction durable de valeur au sein de l'entreprise. On pense en particulier à la perte d'image et la perte de confiance sur le marché.

Mais il est des cas où le risque négatif lié à une procédure judiciaire est en fait un risque positif, c'est-à-dire une opportunité pour l'entreprise. D'un risque négatif, on passe alors à une opportunité en terme de communication.

L'enseigne de grande distribution Leclerc l'a bien compris. Cette entreprise, dont la stratégie est notamment une stratégie de "domination" du marché par les coûts, a toujours fait du combat sur les prix bas son cheval de bataille. La stratégie de communication est depuis longtemps très claire : il est dans l'intérêt du consommateur de bénéficier des prix les plus bas possibles, et l'entreprise se donne pour but d'y arriver. Cet argument a permis à l'entreprise de soutenir ses objectifs de diversification des produits qu'elle offre aux consommateurs. Le combat fut ainsi mené sur le terrain du prix de l'essence, du prix du livre, des produits de parapharmacie, des services funéraires. Confronté à un risque judiciaire évident (devant le juge français), Leclerc a toujours essayé de tirer parti d'une opportunité contenue par le droit européen : celle de la libre circulation des marchandises et des services.




Il y a plusieurs mois, Leclerc décida de porter sur la toile son "combat" pour les prix bas. La création de son site de comparaison de prix, quiestlemoinscher.com, fit beaucoup de bruit, trop même pour certains de ses concurrents (et notamment Carrefour). Par une ordonnance de référé en date du 7 juin 2006, le Tribunal de commerce de Paris lui enjoigna d'en cesser l'édition et l'exploitation, considérant que les comparaisons auxquelles se livrait Leclerc constituaient un trouble manifestement illicite, les critères de comparaison n'étant ni pertinents, ni objectifs, ni vérifiables (pour plus de détail, voir la décision sur le site LegalisNet)
Doit-on en conclure qu'il s'agit d'un risque juridique mal géré (parce que non anticipé ou mal évalué) ? Il est plus raisonnable de penser que Leclerc avait parfaitement intégré ce risque se concrétisant par une fermeture de son site. Mais la défaite sur le champ du judiciaire s'accompagne d'un formidable buzz. On parle de l'affaire... M.E. Leclerc déclare qu'on ne les fera pas taire, et qu'ils vont relancer un site. Effectivement, le 17 novembre 2006, Leclerc relance sa machine à comparer. Certains trouvent que le résultat est décevant, et le site moins "percutant" que la première version.

Alors, de deux choses l'une. Soit Leclerc avait tenté sa chance une première fois, en espérant que ça passerait, et a du ensuite changer son fusil d'épaule en revoyant les modalités de ses comparaisons, et en perdant donc du temps. Soit Leclerc avait parfaitement balisé le champ de son anticipation. Un premier site, qui génère une attente; une fermeture; une polémique; une nouvelle attente; un second site, et de toute façon une avance prise sur les concurrents. En effet, comme chacun sait, en matière d'innovation la prime est au premier entrant, et pas aux suiveurs.

Dans un tel contexte, le recours au juge est un instrument de gestion du risque. Carrefour, confronté au risque de voir les comparaisons lui être à nouveau défavorables, assigne une deuxième fois en justice, en vue d'obtenir la fermeture de la deuxième version du site. Le 29 mars 2007, le Tribunal de commerce de Paris déboute Carrefour de sa demande. Il n'y aura donc pas de deuxième fermeture, sachant que Leclerc avait entre temps lancé, en février, une troisième version.

En conclusion, un bel exemple de performance juridique et de développement d'une capacité, dont on ne peut encore dire si elle confère un avantage concurrentiel. Tout en "surfant" sur une ordonnance de référé lui étant défavorable, Leclerc a pu tester son offre, la structurer, la communiquer, tout en amenant ses concurrents à rester dans le registre défensif et/ou suiveur. A l'arrivée, un jugement favorable, un site bien ancré, une stratégie bien soutenue.

mercredi 25 avril 2007

Performance Juridique

Ce blog est principalement consacré à la Performance Juridique.
La Performance Juridique, que nous définirons par la suite, est une nouvelle manière d'approcher le Droit, et plus précisément les rapports entre le Droit et l'Entreprise.
A partir de l'actualité économique et juridique, le Blog Performance Juridique vous proposera une mise en perspective nouvelle du Droit, tourné vers la compétitivité des entreprises.

Dans le cadre d'un article qui sera publié dans la Revue Les Petites Affiches, numéro du 30 avril 2007, nous développons dans le détail notre conception de la Performance Juridique. La notion de performance n'est pas vraiment intégrée dans le champ du juridique, et pourtant les juristes, qu'ils soient d'entreprise ou avocats, ont un rôle clef à jouer. Ce rôle ne doit pas être réduit aux questions opérationnelles, même si celles-ci sont évidemment importantes. Le paramètre juridique doit en effet être pleinement intégré dans la stratégie de l'entreprise.

La Performance Juridique, c'est en réalité l'aptitude d'une entreprise à gérer juridiquement les risques (positifs et négatifs) liés à l'élaboration et à la mise en oeuvre de sa stratégie. Comme nous le montrons dans l'article évoqué précédemment, cette gestion juridique des risques consiste à apporter aux ressources de l'entreprise, et plus particulièrement celles concourant à la création des avantages concurrentiels, les modèles juridiques les plus efficaces. C'est ainsi que se créent des ressources juridiques, supports à la valorisation des autres ressources.

De cette aptitude à créer des ressources juridiques afin de soutenir et de favoriser le développement des resources juridiques de l'entreprise, va naître ce que l'on appelle la Capacité Juridique de l'entreprise.

Ressources Juridiques et Capacité Juridique doivent contribuer à la formation et au maintien des avantages concurrentiels de l'entreprise