jeudi 26 avril 2007

Performance Judiciaire : le cas de Leclerc


Le conflit judiciaire est évidemment une source de risque pour l'entreprise. Ce risque est a priori négatif pour l'entreprise se voyant sanctionnée par un juge, mais il sera alors à rapprocher du profit réalisé par l'entreprise dans le cadre de l'action à l'origine de ce conflit. Cette réflexion renvoie à la notion de Coût Judiciaire Probable. Il faut néanmoins être prudent car le ratio profit réalisé / coût lié à la décision judiciaire, même s'il semblera favorable, peut cacher un coût plus important, qui est celui de la destruction durable de valeur au sein de l'entreprise. On pense en particulier à la perte d'image et la perte de confiance sur le marché.

Mais il est des cas où le risque négatif lié à une procédure judiciaire est en fait un risque positif, c'est-à-dire une opportunité pour l'entreprise. D'un risque négatif, on passe alors à une opportunité en terme de communication.

L'enseigne de grande distribution Leclerc l'a bien compris. Cette entreprise, dont la stratégie est notamment une stratégie de "domination" du marché par les coûts, a toujours fait du combat sur les prix bas son cheval de bataille. La stratégie de communication est depuis longtemps très claire : il est dans l'intérêt du consommateur de bénéficier des prix les plus bas possibles, et l'entreprise se donne pour but d'y arriver. Cet argument a permis à l'entreprise de soutenir ses objectifs de diversification des produits qu'elle offre aux consommateurs. Le combat fut ainsi mené sur le terrain du prix de l'essence, du prix du livre, des produits de parapharmacie, des services funéraires. Confronté à un risque judiciaire évident (devant le juge français), Leclerc a toujours essayé de tirer parti d'une opportunité contenue par le droit européen : celle de la libre circulation des marchandises et des services.




Il y a plusieurs mois, Leclerc décida de porter sur la toile son "combat" pour les prix bas. La création de son site de comparaison de prix, quiestlemoinscher.com, fit beaucoup de bruit, trop même pour certains de ses concurrents (et notamment Carrefour). Par une ordonnance de référé en date du 7 juin 2006, le Tribunal de commerce de Paris lui enjoigna d'en cesser l'édition et l'exploitation, considérant que les comparaisons auxquelles se livrait Leclerc constituaient un trouble manifestement illicite, les critères de comparaison n'étant ni pertinents, ni objectifs, ni vérifiables (pour plus de détail, voir la décision sur le site LegalisNet)
Doit-on en conclure qu'il s'agit d'un risque juridique mal géré (parce que non anticipé ou mal évalué) ? Il est plus raisonnable de penser que Leclerc avait parfaitement intégré ce risque se concrétisant par une fermeture de son site. Mais la défaite sur le champ du judiciaire s'accompagne d'un formidable buzz. On parle de l'affaire... M.E. Leclerc déclare qu'on ne les fera pas taire, et qu'ils vont relancer un site. Effectivement, le 17 novembre 2006, Leclerc relance sa machine à comparer. Certains trouvent que le résultat est décevant, et le site moins "percutant" que la première version.

Alors, de deux choses l'une. Soit Leclerc avait tenté sa chance une première fois, en espérant que ça passerait, et a du ensuite changer son fusil d'épaule en revoyant les modalités de ses comparaisons, et en perdant donc du temps. Soit Leclerc avait parfaitement balisé le champ de son anticipation. Un premier site, qui génère une attente; une fermeture; une polémique; une nouvelle attente; un second site, et de toute façon une avance prise sur les concurrents. En effet, comme chacun sait, en matière d'innovation la prime est au premier entrant, et pas aux suiveurs.

Dans un tel contexte, le recours au juge est un instrument de gestion du risque. Carrefour, confronté au risque de voir les comparaisons lui être à nouveau défavorables, assigne une deuxième fois en justice, en vue d'obtenir la fermeture de la deuxième version du site. Le 29 mars 2007, le Tribunal de commerce de Paris déboute Carrefour de sa demande. Il n'y aura donc pas de deuxième fermeture, sachant que Leclerc avait entre temps lancé, en février, une troisième version.

En conclusion, un bel exemple de performance juridique et de développement d'une capacité, dont on ne peut encore dire si elle confère un avantage concurrentiel. Tout en "surfant" sur une ordonnance de référé lui étant défavorable, Leclerc a pu tester son offre, la structurer, la communiquer, tout en amenant ses concurrents à rester dans le registre défensif et/ou suiveur. A l'arrivée, un jugement favorable, un site bien ancré, une stratégie bien soutenue.

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