jeudi 24 avril 2008

Edition de contenus, Hébergement de contenus, Accès à des contenus : Viens chez moi , j'habite chez une copine !


Il est devenu moins compliqué d'héberger un ami ou une copine plutôt que des contenus fournis par des tiers, même si les relations humaines sont parfois plus désarmantes que les relations contractuelles. La saga du statut juridique applicable aux sites web tels que Youtube ou Dailymotion continue. Pendant que les compteurs de fréquentation de ces sites s'affolent, le modèle économique qui les supporte reste en l'attente d'une clarification définitive du statut juridique applicable.

Le tribunal de grande instance de Paris, par un jugement en date du 15 avril 2008, a considéré que Dailymotion a le statut d'hébergeur, non soumis à une obligation générale de surveillance, et qui ne détermine pas les contenus mis à la disposition du public. Les demandes de dommages et intérêts des humoristes Omar et Fred, et Jean-Yves Lafesse, ont donc été rejetées. Le tribunal de grande instance de Paris aura bientôt à statuer sur la demande de TF1, qui réclame 100 millions de dommages et intérêts à Youtube et près de 40 millions d'euros à Dailymotion. Une plainte avait été initialement déposée devant une juridiction de l'Etat de Californie, et la nouvelle a été largement reprise par les média américains.

Si besoin était d'ajouter à la confusion - ou tout du moins à l'incertitude ambiante -, le tribunal de grande instance de Paris vient de s'intèresser au cas du statut juridique des sites "agrégateurs de contenus". Ceux-ci se caractérisent notamment par le fait qu'ils s'abonnent à des flux de données (type RRS), permettant alors à l'internaute intéressé d'aller consulter le site producteur du flux (et donc de l'information) en question. Par une ordonnance de référé en date du 26 mars 2008, le juge retient que le site Fuzz.fr, en agrégeant un flux provenant du blog celebrites-stars.blogspot.com, se comporte comme un éditeur de service de communication au public car il "opère un choix éditorial, de même qu’en agençant différentes rubriques telles que celle intitulée “People” et en titrant en gros caractères “[…]”, décidant seule des modalités d’organisation et de présentation du site". Dès lors que le contenu relayé par le flux porte atteinte à la vie privée d'une personne, l'éditeur du site agrégateur en assume la responsabilité éditoriale. L'ordonnance de référé est disponible sur le site du Forum des droits sur l'Internet. Je vous invite à consulter la réaction de l'éditeur de Fuzz.fr, plus amplement imagée sur le blog presse-citron, ainsi que l'hilarante version théatrale de l'audience du triubnal, imaginée par le prolifique Maître Eolas.

L'interprétation et l'application des dispositions de la loi LCEN semble malheureusement difficilement relever de la performance judiciaire. Comment justifier raisonnablement qu'un site tel que Youtube est hébergeur de données, alors qu'un agrégateur de fils RSS est éditeur de contenus...

Pills and Thrills and Bellyaches (Happy Mondays)



Je ne sais pas si les pilules médicales auquelles s'intèressent Michel-Edouard Leclerc ont donné des maux de ventre aux juges, mais ils en ont créé chez les pharmaciens d'officine. Le juge des référés de Colmar, par une ordonnance en date du 21 avril 2008, a reçu favorablement la demande de la société Univers Pharmacie, et a ordonné à l'annonceur (en l'espèce SC Galec) de ne pas diffuser la publicité écrite portant le slogan "avec l'augmentation des prix des médicaments, soigner un rhume sera bientôt un luxe", de ne pas diffuser le spot publicitaire "madame J" sur TF1 ET M6, et de publier sur le site http://www.sesoigner-moinscher.com/ un avertissement destiné au consommateur et expliquant que la campagne d'opinion est soumise à un changement de législation, lui interdisant, en l'état, toute indication de prix. Le juge des référés a considéré que cette publicité, "volontairement agressive et déloyale", est à l'origine d'un trouble manifestement illicite. Sans entrer dans le détail des attendus développés par le juge, la rédaction suivante attire en particulier l'attention : "à la suite des décisions récentes et importantes de dèremboursement et de l'annonce, de la possibilité de vendre prochainement en présentoir, les médicaments non remboursés dans les pharmacies, la grande distribution lance une campagne publicitaire qui certes, tend à obtenir la vente hors monopole de tous ces médicaments non remboursés par la sécurité sociale, mais utilise ce prétexte à légifèrer pour asseoir une politique commerciale agressive". Cette formule résume parfaitement la stratégie juridique de Leclerc, et l'on ne saurait lui reprocher la pertinence de celle-ci, nonobstant l'analyse juridique du contenu de la campagne. Cette stratégie est construite autour d'une évolution législative, qui vient alimenter le débat sur la "vie chère" et "le pouvoir d'achat", et qui se traduit par une exhortation à une autre évolution législative, à savoir l'effritement du monopole des pharmaciens d'officine. Quant à la dimension judiciaire, l'ordonnance de référé ne surprend guère dans son analyse et sa conclusion. On peut être tenté de résumer trivialement par la formule lapidaie suivante : "un procès de perdu, une victoire médiatique". Une de plus ?
Merci à mon collègue Cédric "WebGuru" Manara pour m'avoir communiqué l'ordonnance.

Espérons une loi qui ne soit pas 0.0. pour le Web 2.0...


A l'occasion de la présentation à l'Assemblée Nationale du rapport d'application de la loi LCEN, le député Jean Dionis du Séjour a accordé une interview exclusive au quotidien 20 minutes. Il y déclare notamment que le Web 2.0 " a rendu floue la frontière entre les acteurs de l'Internet". Cette affirmation semble difficilement contestable, et les tribulations judiciaires de Myspace, Youtube, Dailymotion, Wikipedia, Ebay, pour ne citer que ces quelques exemples, en témoignent. Il appelle de ses voeux une loi "LCEN2", en ajoutant que "l'évolution de la loi est préférable à l'anarchie jurisprudentielle". Certes la France est un pays de droit romano germanique, où la la jurisprudence ne tient pas la même place que dans les pays de common law. Mais cette vision selon laquelle seul le législateur peut réguler correctement les situations nécessitant des qualifications juridiques rigoureuses, finit par lasser. La cour de cassation a certainement apprécié la formule "d'anarchie jurisprudentielle" et l'on pourra rétorquer qu'une "anarchie jurisprudentielle" n'est pas forcément plus facheuse qu'une bouillis législative, qui se caractérise par des strates successives de dispositions pas toujours très claires, dans des textes qui recèlent un luxe de détails et sont bien éloignés de l'esprit d'origine de la structure d'une loi.