Nous l'avons déjà abordé précédemment, mais le sujet de la corporate governance continue à animer les déjeuners d'affaires, les cercles de décideurs, les assemblées d'actionnaires, les revues juridiques, en France comme à l'étranger, les tracts syndicaux, et, aussi...les réflexions du gouvernement. L'un des sujets les plus controversés, mais pas nécessairement le plus traité de manière rationnelle, est celui de la rémunération des dirigeants. Il n'est pas besoin de revenir sur des cas récents, que certains qualifient de scandaleux, que ce soit en France ou aux Etats-Unis d'Amérique, de dirigeants quittant une société dont les résultats financiers ne sont pas nécessairement à leur zénith, tout en percevant des indemnités de plusieurs millons d'euros.
Le projet de loi sur le travail, l'emploi et le pouvoir d'achat, entreprend de fixer certaines exigences au niveau des rémunérations des dirigeants. On peut ainsi lire, dans l'exposé des motifs (publié par le journal La Tribune) :
"Depuis la loi de confiance et de modernisation de l'économie du 26 juillet 2005, les éléments de rémunération différée des dirigeants des entreprises cotées sont soumis au régime des conventions réglementées. Elles sont par conséquent préalablement autorisées par le conseil d'administration (ou de surveillance), font l'objet d'un rapport spécial des commissaires aux comptes sur lequel statue l'assemblée générale des actionnaires et sont soumises à l'approbation de l'assemblée générale des actionnaires. Ce dispositif apparaît aujourd'hui insuffisant notamment lorsque l'ampleur de la rémunération différée apparaît, au moment de son versement, sans commune mesure avec la performance du dirigeant ou la situation de l'entreprise.
Afin de mettre un terme à de telles situations, l'article 7 prévoit :
- l'obligation de subordonner le versement de rémunérations différées à certaines conditions de performance fixées dès le départ dans la convention et appréciées par le conseil d'administration au moment du versement (seule l'éventuelle indemnité pour clause de non-concurrence n'est pas soumise à cette condition) ; les conventions en cours doivent être mises en conformité avec cette disposition, que justifie l'intérêt général, sous le délai d'un an ;
- une obligation de rendre publique dans de brefs délais la décision d'autorisation par le conseil d'administration (ou de surveillance) de la convention de rémunération différée entre l'entreprise et l'un de ses dirigeants et l'appréciation par le conseil des conditions de performance préalablement à leur versement ;
- le maintien du dispositif de la loi de confiance et de modernisation de l'économie du 26 juillet 2005 en ce qui concerne la soumission de ces conventions de rémunération, en tant que conventions réglementées, à l'assemblée générale, mais en précisant que cette soumission doit donner lieu à une résolution séparée des autres conventions réglementées et en soumettant à nouveau ces conventions aux actionnaires en cas de renouvellement de mandat."
En résumé, le législateur viendrait donc fixer un cadre au versement de rémunérations différées au profit des dirigeants. Ce versement devrait dépendre de critères de performance appréciés par le Conseil d'administration. Il reste à savoir quelle est la marge de manoeuvre du Conseil d'administration par rapport aux actionnaires et son indépendance dans la prise de décision. En dehors de cette question, ce projet de loi interpelle sur le rôle du législateur. Laissons également de coté la bizarrerie constituant à intégrer la question de la rémunération des dirigeants (sachant que sont surtout "visés" les dirigeants des grandes sociétés) dans un texte intitulé "Loi sur le travail, l'emploi, et le pouvoir d'achat"...
Sauf à considérer qu'il s'agit uniquement d'un geste politique destiné à formaliser le fait que le mode de rémunération des dirigeants de grandes sociétés constitue aujourd'hui un débat de société, on peut émettre quelques doutes quant à la pertinence d'une telle mesure législative. Certains estiment qu'il n'appartient pas au législateur de s'emparer de questions relevant strictement du domaine contractuel, et préfèreraient les voir relever d'un code de bonne conduite. Ce type de texte fait néanmoins naître certaines interrogations, notamment au niveau de leur force juridique. On peut simplement estimer que la question de la rémunération des dirigeants relève strictement des mécanismes décisionnels internes à l'entreprise, au coeur même de la relation d'agence. Si le marché fonctionne normalement, les choses devraient être assez simples. Une société dans laquelle les dirigeants seraient récompensés, alors même que leur gestion conduit à des résultats financiers médiocres (pour ne pas dire mauvais dans certains cas), devrait être sanctionnée par le marché. Les actionnaires supporteraient une perte de valeur de leurs titres. Répété sur plusieurs sociétés, le mécanisme générerait des signaux suffisamment visibles pour que des pratiques a priori non rationnelles d'un point de vue économique soient abandonnées.