Comme promis, j'apporte dans ce billet des éléments plus fournis quant à la Décision du Conseil de la concurrence n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008 relative à des pratiques mises en oeuvre dans la distribution des iPhones.
Le Conseil de la concurrence mobilise de nombreuses données chiffrées pour analyser le cas particulier du contrat passé entre Apple et Orange. D'une part, les parts de marché de la téléphonie mobile en France, montrant la position de leader occupée par Orange (43,5% pour Orange; 33,7% pour SFR; 17,3% pour Bouygues Telecom). D'autre part, les données fournies par l'ARCEP et relatives aux parts de marché des terminaux mobiles dits "smartphone" : en juin 2008, l'iPhone 2G était le 3ème smartphone le plus vendu au monde avec 5,3% de parts de marché, derrière le Nokia (46,7%) et le Blackberry (13,4%). Au 3ème trimestre 2008, l'iPhone serait passé à 17,3%, le Blackberry à 15,2%, le Nokia reculant à 38,9%. L'iPhone est devenu le mobile le plus vendu aux Etats-Unis (une croissance de l'iPhone de + 523% entre le 3ème trimestre 2007 et le 3ème trimestre 2008). De plus, selon les déclarations d'Orange, 50% des ventes d'iPhone 3G concerneraient de nouveaux clients. Le Conseil de la concurrence insiste beaucoup sur la particularité des smartphones, la forte croissance de ce marché (entre 10% et 13% des ventes mondiales de téléphones mobiles; une croissance de 60% par an), et le fait que l'augmentation des revenus sur le marché de la téléphonie mobile est notamment tirée par les innovations commerciales et technologiques.
En lisant entre les lignes, le raisonnement du Conseil de la concurrence est assez clair : l'iPhone est un produit en pleine croissance sur un marché lui aussi en pleine croissance, qui est très important pour l'évolution du marché de la téléphonie mobile (des smartphones de plus en plus riches en fonctionnalités).
Le Conseil de la concurrence s'attache également à signaler que le changement de modèle économique pour la distribution de l'iPhone en France (d'un modèle non-subventionné vers un modèle subventionné, avec des prix révisés à l'approche des fêtes de fin d'année) n'est pas neutre, dans la mesure où, une fois de plus selon une étude de l'ARCEP, les offres associant un service mobile et un terminal subventionné occupent une place prééminente.
Le Conseil de la concurrence met également en relief le fait que l'environnement Apple renforce l'attractivité de l'iPhone (comme je l'avais évoqué dans mon article publié aux Petites Affiches). Il est fait référence aux parts de marché de l'iPod au 1er trimestre 2008 (70% de parts de marché; 42,2% en France), ainsi que celles détenues par iTunes sur le marché de la musique numérique (entre 70% et 80% en janvier 2008; entre 60% et 70% en France), sachant que l'iPhone doit être activé sur la plate-forme iTunes.
Le Conseil de la concurrence se livre alors à une comparaison "facile" : le prix de l'iPhone subventionné et le prix de l'iPod (dans leurs versions 8 GO et 16 GO), pour en conclure que l'iPhone devient pour le consommateur un substitut intéressant à l'iPod étant donné qu'il a, notamment, les fonctionnalités d'un Ipod, tout en coûtant moins cher. Que faut-il entendre par ce raisonnement ? Que iPhone = iPod, et donc que l'iPhone a une position fortement dominante sur le marché des baladeurs numériques ? Le raisonnement semblerait quelque peu singulier, d'autant qu'il ne tient pas compte du coût que représente l'abonnement téléphonique, et qu'il convient d'ajouter au prix de l'iPhone. L'analyse du Conseil de la concurrence montre au moins qu'il sent bien la difficulté à déterminer le marché de référence (ou marché pertinent), d'où la volonté de démontrer que quelque soit le marché choisi, la position dominante existe...
Le Conseil de la concurrence s'intèresse ensuite plus spécifiquement aux contrats passés entre Apple et Orange, d'une part quant au réseau de téléphonie mobile et d'autre part quant à la distribution de l'iPhone. L'évolution d'un modèle de partage des revenus vers un modèle subventionné est bien expliquée. Quant à la distribution de l'iPhone, il ressort de l'analyse du Conseil de la concurrence que cette distribution est très contrôlée, de manière à préserver à la fois les intérêts d'Apple et ceux d'Orange, notamment en évitant tout contournement de l'exclusivité par le biais d'importations parallèles.
Après avoir livré l'ensemble des informations à sa disposition quant aux marchés concernés et aux stipulations contractuelles, le Conseil de la concurrence s'interroge sur le (les) marché(s) pertinent(s) en cause. On retiendra notamment l'interrogation relative au marché des terminaux : faut-il ou non distinguer un segment "smartphone" ? , et le fait que le Conseil de la concurrence affirme qu'au niveau du marché aval, il ne peut être exclu que le fait qu'un distributeur serait le seul à offrir un smartphone, aurait un effet sur son pouvoir de marché, même si celui-ci est également fonction de la compétitivité de son offre de téléphonie mobile. Il reconnait qu'il n'est toutefois pas possible pour l'instant d'estimer la part de France Telecom sur un marché limité aux smartphones ou PDA. Le Conseil de la concurrence précise également qu'il ne peut être exclu qu'Apple occupe une position dominante sur le marché des baladeurs numériques, ainsi que sur le marché du téléchargement payant de la musique en ligne. On a ici envie de dire "et alors" ? Quel impact peut avoir le contrat passé entre Orange et Apple sur ces marchés ? Quel lien existe entre ces marchés et celui des téléphones mobiles ou des smartphones ?
Concernant les pratiques en cause, telles qu'elles ressortent du contrat, le Conseil de la concurrence relève plusieurs restrictions verticales affectant la revente aux consommateurs finaux, qui entraineraient une perte de présomption de la légalité de l'accord, dès lors qu'il n'y a pas d'avantages objectifs de nature à compenser le préjudice causé à la concurrence, et sachant que le seuil de sensibilité de 30% doit s'apprécier au niveau de l'acheteur (Orange) lorsque l'accord contient une obligation de fourniture exclusive (Apple fournit exclusivement Orange). Or Orange détient plus de 30% des parts de marché (mais de quel marché ?). Le Conseil de la concurrence retient, en plus, la notoriété de la marque Apple et sa forte position sur le marché des baladeurs numériques, et donc le possible effet de levier sur le marché des terminaux mobiles (mais quelle peut être la réalité de cet effet de levier ?), ainsi que la "protection par plus de 200 brevets" (mais ces 200 brevets ont-ils été octroyés ? Permettent-ils réellement de verouiller l'accès à certaines technologies ? Quand on voit le développement récent des mobiles à écran tactile, notamment sur la dernière version du Blackberry, on peut en douter...)
Pour le Conseil de la concurrence, c'est sur le marché des services de téléphonie mobile que doivent être observés les effets de l'exclusivité. Cela peut-il renforcer la position d'Orange ? Après avoir rappelé les handicaps du marché français de la téléphonie mobile, le Conseil de la concurrence tire la conclusion que la durée et l'étendue de l'exclusivité accordée à Orange, ainsi que l'attractivité du produit, sont susceptibles de renforcer la position dominante d'Orange sur le marché de la téléphonie mobile étant donné la faible intensité concurrentielle sur celui-ci.
Quant aux gains d'efficience qui seraient générés par l'accord Apple/Orange, le Conseil de la concurrence estime qu'ils ne compenseraient pas l'atteinte à la concurrence. Enfin, l'autorité de la concurrence insiste aussi sur l'effet de réseau créé par les DRM et la position de la plate-forme iTunes : "la musique achetée sur l'iTunes Store ne peut être transférée sur un autre smartphone"..."les consommateurs ne peuvent changer de marque de smartphone sans perdre leur bibliothèque musicale". Cela est inexact dans la mesure où les conversions de format de fichier sont possibles, permettant alors, avec un minimum de patience et d'effort, de pouvoir lire les fichiers achetés sur iTunes sur d'autres terminaux que l'iPhone ou l'iPod, et de pouvoir lire sur un iPhone ou un iPod des fichiers provenant d'autres sources que iTunes.
Pour conclure, plusieurs éléments marquants peuvent être retirés de cette décision du Conseil de la concurrence. Du point de vue de la stratégie d'Apple, cette décision n'est pas réellement handicapante dans la mesure où elle vient mettre à mal un modèle économique qui ne servait les intérêts d'Apple que dans une première étape. Elle est vraisemblablement plus contrariante pour Orange, même si l'entreprise a la capacité de capturer la valeur qu'elle a su créer grace au contrat passé avec Apple. Le changement de modèle économique, vers un modèle "subventionné", paraît avoir été déterminant dans la décision du Conseil de la concurrence. Sur le plan juridique, Orange et Apple vont avoir la possibilité de préparer leurs arguments pour tenter d'infléchir en appel cette décision. Ces arguments devront porter sur le marché de référence et les gains d'efficience, tout en combattant certaines informations, telles que celle relative à la non-interopérabilité absolue des fichiers musicaux. Néanmoins, si les clauses "noires" ne sont pas supprimées dans le contrat, la bataille s'annonce extrêmement difficile. Mais Orange n'a t'il pas d'ores et déjà capitalisé sur l'avantage stratégique qu'il a su provoquer...
Le Conseil de la concurrence mobilise de nombreuses données chiffrées pour analyser le cas particulier du contrat passé entre Apple et Orange. D'une part, les parts de marché de la téléphonie mobile en France, montrant la position de leader occupée par Orange (43,5% pour Orange; 33,7% pour SFR; 17,3% pour Bouygues Telecom). D'autre part, les données fournies par l'ARCEP et relatives aux parts de marché des terminaux mobiles dits "smartphone" : en juin 2008, l'iPhone 2G était le 3ème smartphone le plus vendu au monde avec 5,3% de parts de marché, derrière le Nokia (46,7%) et le Blackberry (13,4%). Au 3ème trimestre 2008, l'iPhone serait passé à 17,3%, le Blackberry à 15,2%, le Nokia reculant à 38,9%. L'iPhone est devenu le mobile le plus vendu aux Etats-Unis (une croissance de l'iPhone de + 523% entre le 3ème trimestre 2007 et le 3ème trimestre 2008). De plus, selon les déclarations d'Orange, 50% des ventes d'iPhone 3G concerneraient de nouveaux clients. Le Conseil de la concurrence insiste beaucoup sur la particularité des smartphones, la forte croissance de ce marché (entre 10% et 13% des ventes mondiales de téléphones mobiles; une croissance de 60% par an), et le fait que l'augmentation des revenus sur le marché de la téléphonie mobile est notamment tirée par les innovations commerciales et technologiques.
En lisant entre les lignes, le raisonnement du Conseil de la concurrence est assez clair : l'iPhone est un produit en pleine croissance sur un marché lui aussi en pleine croissance, qui est très important pour l'évolution du marché de la téléphonie mobile (des smartphones de plus en plus riches en fonctionnalités).
Le Conseil de la concurrence s'attache également à signaler que le changement de modèle économique pour la distribution de l'iPhone en France (d'un modèle non-subventionné vers un modèle subventionné, avec des prix révisés à l'approche des fêtes de fin d'année) n'est pas neutre, dans la mesure où, une fois de plus selon une étude de l'ARCEP, les offres associant un service mobile et un terminal subventionné occupent une place prééminente.
Le Conseil de la concurrence met également en relief le fait que l'environnement Apple renforce l'attractivité de l'iPhone (comme je l'avais évoqué dans mon article publié aux Petites Affiches). Il est fait référence aux parts de marché de l'iPod au 1er trimestre 2008 (70% de parts de marché; 42,2% en France), ainsi que celles détenues par iTunes sur le marché de la musique numérique (entre 70% et 80% en janvier 2008; entre 60% et 70% en France), sachant que l'iPhone doit être activé sur la plate-forme iTunes.
Le Conseil de la concurrence se livre alors à une comparaison "facile" : le prix de l'iPhone subventionné et le prix de l'iPod (dans leurs versions 8 GO et 16 GO), pour en conclure que l'iPhone devient pour le consommateur un substitut intéressant à l'iPod étant donné qu'il a, notamment, les fonctionnalités d'un Ipod, tout en coûtant moins cher. Que faut-il entendre par ce raisonnement ? Que iPhone = iPod, et donc que l'iPhone a une position fortement dominante sur le marché des baladeurs numériques ? Le raisonnement semblerait quelque peu singulier, d'autant qu'il ne tient pas compte du coût que représente l'abonnement téléphonique, et qu'il convient d'ajouter au prix de l'iPhone. L'analyse du Conseil de la concurrence montre au moins qu'il sent bien la difficulté à déterminer le marché de référence (ou marché pertinent), d'où la volonté de démontrer que quelque soit le marché choisi, la position dominante existe...
Le Conseil de la concurrence s'intèresse ensuite plus spécifiquement aux contrats passés entre Apple et Orange, d'une part quant au réseau de téléphonie mobile et d'autre part quant à la distribution de l'iPhone. L'évolution d'un modèle de partage des revenus vers un modèle subventionné est bien expliquée. Quant à la distribution de l'iPhone, il ressort de l'analyse du Conseil de la concurrence que cette distribution est très contrôlée, de manière à préserver à la fois les intérêts d'Apple et ceux d'Orange, notamment en évitant tout contournement de l'exclusivité par le biais d'importations parallèles.
Après avoir livré l'ensemble des informations à sa disposition quant aux marchés concernés et aux stipulations contractuelles, le Conseil de la concurrence s'interroge sur le (les) marché(s) pertinent(s) en cause. On retiendra notamment l'interrogation relative au marché des terminaux : faut-il ou non distinguer un segment "smartphone" ? , et le fait que le Conseil de la concurrence affirme qu'au niveau du marché aval, il ne peut être exclu que le fait qu'un distributeur serait le seul à offrir un smartphone, aurait un effet sur son pouvoir de marché, même si celui-ci est également fonction de la compétitivité de son offre de téléphonie mobile. Il reconnait qu'il n'est toutefois pas possible pour l'instant d'estimer la part de France Telecom sur un marché limité aux smartphones ou PDA. Le Conseil de la concurrence précise également qu'il ne peut être exclu qu'Apple occupe une position dominante sur le marché des baladeurs numériques, ainsi que sur le marché du téléchargement payant de la musique en ligne. On a ici envie de dire "et alors" ? Quel impact peut avoir le contrat passé entre Orange et Apple sur ces marchés ? Quel lien existe entre ces marchés et celui des téléphones mobiles ou des smartphones ?
Concernant les pratiques en cause, telles qu'elles ressortent du contrat, le Conseil de la concurrence relève plusieurs restrictions verticales affectant la revente aux consommateurs finaux, qui entraineraient une perte de présomption de la légalité de l'accord, dès lors qu'il n'y a pas d'avantages objectifs de nature à compenser le préjudice causé à la concurrence, et sachant que le seuil de sensibilité de 30% doit s'apprécier au niveau de l'acheteur (Orange) lorsque l'accord contient une obligation de fourniture exclusive (Apple fournit exclusivement Orange). Or Orange détient plus de 30% des parts de marché (mais de quel marché ?). Le Conseil de la concurrence retient, en plus, la notoriété de la marque Apple et sa forte position sur le marché des baladeurs numériques, et donc le possible effet de levier sur le marché des terminaux mobiles (mais quelle peut être la réalité de cet effet de levier ?), ainsi que la "protection par plus de 200 brevets" (mais ces 200 brevets ont-ils été octroyés ? Permettent-ils réellement de verouiller l'accès à certaines technologies ? Quand on voit le développement récent des mobiles à écran tactile, notamment sur la dernière version du Blackberry, on peut en douter...)
Pour le Conseil de la concurrence, c'est sur le marché des services de téléphonie mobile que doivent être observés les effets de l'exclusivité. Cela peut-il renforcer la position d'Orange ? Après avoir rappelé les handicaps du marché français de la téléphonie mobile, le Conseil de la concurrence tire la conclusion que la durée et l'étendue de l'exclusivité accordée à Orange, ainsi que l'attractivité du produit, sont susceptibles de renforcer la position dominante d'Orange sur le marché de la téléphonie mobile étant donné la faible intensité concurrentielle sur celui-ci.
Quant aux gains d'efficience qui seraient générés par l'accord Apple/Orange, le Conseil de la concurrence estime qu'ils ne compenseraient pas l'atteinte à la concurrence. Enfin, l'autorité de la concurrence insiste aussi sur l'effet de réseau créé par les DRM et la position de la plate-forme iTunes : "la musique achetée sur l'iTunes Store ne peut être transférée sur un autre smartphone"..."les consommateurs ne peuvent changer de marque de smartphone sans perdre leur bibliothèque musicale". Cela est inexact dans la mesure où les conversions de format de fichier sont possibles, permettant alors, avec un minimum de patience et d'effort, de pouvoir lire les fichiers achetés sur iTunes sur d'autres terminaux que l'iPhone ou l'iPod, et de pouvoir lire sur un iPhone ou un iPod des fichiers provenant d'autres sources que iTunes.
Pour conclure, plusieurs éléments marquants peuvent être retirés de cette décision du Conseil de la concurrence. Du point de vue de la stratégie d'Apple, cette décision n'est pas réellement handicapante dans la mesure où elle vient mettre à mal un modèle économique qui ne servait les intérêts d'Apple que dans une première étape. Elle est vraisemblablement plus contrariante pour Orange, même si l'entreprise a la capacité de capturer la valeur qu'elle a su créer grace au contrat passé avec Apple. Le changement de modèle économique, vers un modèle "subventionné", paraît avoir été déterminant dans la décision du Conseil de la concurrence. Sur le plan juridique, Orange et Apple vont avoir la possibilité de préparer leurs arguments pour tenter d'infléchir en appel cette décision. Ces arguments devront porter sur le marché de référence et les gains d'efficience, tout en combattant certaines informations, telles que celle relative à la non-interopérabilité absolue des fichiers musicaux. Néanmoins, si les clauses "noires" ne sont pas supprimées dans le contrat, la bataille s'annonce extrêmement difficile. Mais Orange n'a t'il pas d'ores et déjà capitalisé sur l'avantage stratégique qu'il a su provoquer...
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