lundi 9 novembre 2009

Stratégie de diversification et conflit en matière de brevets



Fin 2005, eBay a acquis Skype pour la modique somme de 3 milliards de dollars. Les performances financières n'ont pas été très bonnes, et eBay décida de se séparer de Niklas Zennstrom, co-fondateur de Skype et directeur général. Ce dernier, avec l'autre co-fondateur de Skype, Januss Friis, a créé une société de logiciels peer to peer, Joltid. Cette société s'appuie sur un actif-clef, à savoir le code source de la technologie peer to peer skype. Cet actif-clef est protégé par le biais du copyright, détenu par la société Joltid, qui en avait concédé le droit d'utilisation à eBay par le biais d'un contrat de licence. Peu de temps après l'annonce par eBay de la cession de 65% de la participation dans Skype à un consortium d'investisseurs, Joltid a décidé de terminer l'accord de licence (au motif qu'eBay avait acquis des versions non-autorisées du code source, réalisé des modifications, et transmis les informations à des tiers), et d'engager à l'encontre de Skype, d'eBay et du consortium une action en contrefaçon de copyright (16 septembre 2009). Une autre action judiciaire est en cours au Royaume-Uni.

Trois semaines plus tard, une information plus positive est venue éclaircir les perspectives de Skype. En effet, la U.S. Court of Appeals for the Federal Circuit, suite à un appel interjeté par eBay, est venue infirmée la décision rendue par la U.S. District Court for the Eastern District of Texas (toujours cette juridiction ! , voir mes billets précédents, considérant qu'il n'y avait pas violation des brevets détenus par la société Peer Communication.

La situation d'eBay après la prise de contrôle de Skype illustre bien que les droits de propriété intellectuelle sont une source croissante de risque aux Etats-Unis, surtout dans un contexte d'importants flux économiques où chacun souhaite "profiter de sa part du gateau"...

dimanche 8 novembre 2009

Intel est pris...qui croyait prendre ?



Dans un billet datant du mois de juin, j'avais indiqué cette ironie de voir Intel lourdement condamnée par la Commission européenne au moment où je relisais un article publié en 2001 dans la Harvard Business Review qui mettait en exergue l'exemplarité du dispositif de compliance mis en place par Intel en matière de droit de la concurrence. Je me demandais si l'une des raison de ce décalage ne résidait pas dans l'adéquation de ces programmes de compliance au droit US, et non au droit européen, sans pour autant en être très convaincu...L'histoire me donnerait-elle raison ? La FTC vient de déclarer qu'elle dévouait énormément de temps à l'élaboration d'un nouveau dossier à l'encontre de la société Intel. On pourrait là encore rétorquer qu'il s'agit de faits anciens, et que les programmes de compliance ont été développés postérieurement. Cependant un doute sérieux existe...étant donné que ce dossier viserait à régler des problèmes "pour le futur"...

Les bons soldats du droit de la concurrence sont-ils de fins stratèges ?



Les "tribulations" d'Apple et d'Orange sont-elles terminées ? Après la décision du Conseil de la concurrence et celle de la Cour d'appel de Paris (voir un post précédent, Apple, France Télécom, et Orange ont récemment proposé des engagements pour une durée de trois ans à l'Autorité de la Concurrence. Ainsi :
- « Apple s'engage à ne pas consentir à des opérateurs de téléphonie mobile français, et à ne pas mettre en œuvre de quelque manière que ce soit avec ces mêmes opérateurs, d'exclusivités opérateur ou de grossiste pour la distribution sur le territoire français des modèles actuels et futurs d'iPhone, à l'exception d'exclusivités portant sur des modèles futurs d'iPhone et dont la durée ne serait pas supérieure à trois mois. »

- Orange s'engage « sur le territoire métropolitain français, à ne pas revendiquer d'exclusivité “opérateur” et/ou “grossiste” sur les modèles actuels de l'iPhone » et « à ne pas introduire, dans les contrats qui seraient conclus avec Apple pour la commercialisation des futurs modèles d'iPhone (…) une exclusivité “opérateur” et/ou “grossiste” d'une durée supérieure à trois mois ».
Orange s'engage également, dans un délai de deux mois, « en conséquence du 1er engagement et du 2e engagement ci-dessus, (…) à régulariser définitivement et complètement avec Apple leurs accords d'exclusivité de partenariat sur l'iPhone » et « régulariser avec ses distributeurs leurs contrats de distribution de l'iPhone ».

Mais en quoi ces engagements sont-ils contraignants pour ces entreprises ? Orange a su capturer de la valeur pendant la durée du partenariat (voir, notamment, les transferts d'abonnement des autres opérateurs vers Orange). Apple a évidemment intérêt, après une période lui ayant permis de faire son apprentissage sur un marché que la société ne connaissait pas, avec un opérateur dédié, à ce que l'iPhone soit distribué massivement...

Conformité réglementaire et performance : succès de l'évènement organisé à l'hotel Le Meurice



L'étude réalisée par Christophe Roquilly et Christophe Collard sur la conformité réglementaire a donné lieu à un EDHEC Publication Paper présenté à l’occasion d’un évènement organisé le 22 octobre par Protiviti (société partenaire de LegalEdhec dans le cadre de cette étude) à l’hotel Le Meurice. Au cours de celui-ci, les deux auteurs ont présenté les conclusions de leur étude, qui s’appuie sur un cadre conceptuel élaboré à partir d’une large revue de littérature, et sur des entretiens qualitatifs menés auprès de dix directeurs juridiques et compliance officers.

Cette présentation devant plus de cent personnes a été suivie d’une table-ronde animée par Monsieur François Roche, journaliste, et à laquelle ont participé Madame Nicole Notat, Présidente de Vigeo, et Messieurs Bernard Drui, Managing Director de Protiviti, Daniel Lebègue, Président de l’IFA, Philippe Legrez, Directeur Juridique du Groupe Michelin, et Laurent Combalbert, Président d’Ulysceo.

C. Roquilly et C. Collard s’attachent à mettre en évidence que la conformité réglementaire ne peut avoir un impact positif sur la performance des entreprises qu’en fonction de la qualité de certains facteurs, qui sont répartis dans les quatre dimensions de la conformité réglementaire : institutionnelle, substantielle, organisationnelle, et fonctionnelle. La première dimension renvoie à l’auteur de la norme juridique et à l’efficacité potentielle des codes de bonnes pratiques ; la seconde dimension touche à la substance de la norme et aux mérites respectifs des deux modèles dominants : commander-contrôler-sanctionner, d’une part, recommander, encourager, récompenser, d’autre part. La troisième dimension, dont on peut penser qu’elle est centrale, est relative à l’organisation que l’entreprise met en place pour développer une véritable culture de la conformité. Enfin, la quatrième et dernière dimension évoque la nécessité de choisir la fonction au sein de l’entreprise qui va devoir incarner cette recherche de conformité réglementaire. Il appartient à chaque entreprise de trouver l’organisation de la conformité la plus adaptée à ses propres spécificités, sachant qu’il est vraisemblable que seul le dépassement de la « simple » conformité réglementaire peut éventuellement conduire à une meilleure performance.

Il est à noter que cette étude donnera lieu à un dossier dans le prochain numéro des Cahiers de Droit de l'Entreprise.

Google AdWords : vers une stabilisation juridique du modèle ?




Comme je l'avais annoncé dans un billet précédent, la Cour de cassation a posé plusieurs questions préjudicielles à la CJCE concernant le conflit entre le mode de fonctionnement du programme AdWords de Google et le droit des marques, et la responsabilité de la société Google à cet égard. L'Avocat Général, Monsieur Poiares Maduro, a rendu ses conclusions le 22 septembre 2009. Celles-ci sont de toute évidence favorables à Google et au modèle technologique choisi pour son programme AdWords. Monsieur Maduro estime en effet que :
- "La sélection par un opérateur économique, par voie de contrat de référencement payant sur Internet, d’un mot clef déclenchant, en cas de requête utilisant ce mot, l’affichage d’un lien proposant de se connecter à un site exploité par cet opérateur afin d’offrir à la vente des produits ou services, d’un signe reproduisant ou imitant une marque enregistrée par un tiers afin de désigner des produits identiques ou similaires, sans l’autorisation du titulaire de cette marque, ne constitue pas en soi une atteinte au droit exclusif garanti à ce dernier en vertu de l’article 5 de la première directive 89/104 du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques".

- "L’article 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 89/104 et l’article 9, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire doivent se comprendre comme signifiant qu’un titulaire de marque ne peut pas interdire au prestataire d’un service de référencement payant de mettre à la disposition d’annonceurs des mots clefs reproduisant ou imitant des marques déposées ou d’organiser dans le cadre du contrat de référencement la création et l’affichage privilégié de liens publicitaires vers des sites sur la base de ces mots clefs".

- "Dans le cas où les marques sont renommées, le titulaire des marques ne peut pas s’opposer à un tel usage en vertu de l’article 5, paragraphe 2, de la directive 89/104 et de l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94".

Est-ce à dire que Google va pouvoir enfin obtenir la sécurisation juridique de son programme ? La réponse ne peut être catégorique car la décision à venir de la CJCE ne présumera en rien l'application par le juge français du régime de concurrence déloyale. Toutefois, un grand pas en avant serait réalisé, et un recul de l'étendue du droit des marques pour s'opposer à certains types d'utilisation d'une information commerciale opéré.

mercredi 21 octobre 2009

La stratégie "Google Book" : le Diable s'habille en pixels ?



On peut s'étonner que Google soit autant diabolisé dans sa stratégie de développement du projet "Google Book" dès lors que le projet s'appuie sur des contrats passés avec les titulaires des droits d'auteur, qui peuvent évidemment intégrer la question de la gestion des droits d'auteur relativement à des oeuvres numérisées. Mais ce projet a pris racine il y a déja plusieurs années. Je vous recommande à ce sujet l'excellent historique synthétique par Stephan Ott. Comme souvent aux Etats-Unis, le conflit s'est réglé par un réglement amiable, après un relatif bras de fer. Lawrence Lessig en a fait un brillant commentaire à l'occasion d'une conférence dont la vidéo est disponible sur le site de la Stanford Law School. Quant à la question de savoir si Google est "le diable" ou pas, ne peut-on répondre par "la chance - ou plutôt le succès - sourit aux audacieux" ?

Quelques conseils de lecture



Quelques conseils de lecture suite à des parutions récentes

- Sur les risques (notamment juridiques) liés à la localisation d'une activité :
" Evaluating risk in China: why does location matter?", P. B. Prime, Academy of Management Perspectives, 2009, february, pp. 82-84

- Sur les brevets et la création de valeur :
" Value appropriation as an organizational capability: the case of IP protection through patents", M. Reitzig & P. Puranam, Strategic Management Journal, 2009, Vol. 30 Issue 7, pp. 765-789
" Parent contribution and organizational control in international joint ventures", D. Chen, S. H. Park, & W. Newburry, Strategic Management Journal; Nov2009, Vol. 30 Issue 11, pp. 1133-1156
" Reputations for toughness in patent enforcement: implications for knowledge spillovers via inventor mobility", R. Agarwal, M. Ganco, & R. H. Ziedonis, Strategic Management Journal; Dec2009, Vol. 30 Issue 13, pp. 1349-1374

Sur les relations entre environnement juridique et stratégie de développement à l'international :
"Market Size, Legal Institutions, and International Diversification Strategies: Implications for the Performance of Multinational Firms", L. Jiatao & D. R. Yue, Management International Review, 2008, Vol. 48 Issue 6, pp. 667-688
"International joint venture partner selection: The role of the host-country legal environment", J.-P. Roy & C. Oliver, Journal of International Business Studies, 2009, Vol. 40 Issue 5, pp. 779-801
"Legal systems, information asymmetry, and firm boundaries: Cross-border choices to diversify through mergers, joint ventures, or strategic alliances", T. Jandik & R. Kali, Journal of International Business Studies, 2009, Vol. 40 Issue 4, pp. 578-599

lundi 12 octobre 2009

Pour ne plus jamais entendre "Eteins ton ordinateur et lis un bon livre"...?



Pour une analyse éclairée de la position du US Department of Justice sur le cas Google Book Search, voir le Blog de la Faculté de Droit de l'Université de Chicago et le billet de Randall Picker, que j'avais eu le plaisir de rencontrer lors de mon séjour à Chicago, et dont je vous recommande à nouveau la lecture de son remarquable ouvrage "Game Theory and the Law".

Les jeux sont faits, rien ne va plus



L’ouverture à la concurrence du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne offre un champ d’analyse quant à la manière dont une évolution du cadre législatif (ou réglementaire) peut avoir une influence sur la stratégie des entreprises, et quant aux stratégies juridiques adoptées par les acteurs du marché. Sur ce second point, on peut observer trois grands types de stratégie. D’une part les « légalistes », à savoir les entreprises qui ne pouvaient en principe offrir aux consommateurs situés sur le territoire français la possibilité de s’engager en ligne dans des activités de paris ou de jeux d’argent (il ne s’agit donc ni de la Française des Jeux, ni du PMU), et qui ont décidé d’attendre que l’ouverture à la concurrence du marché français soit effective (stratégie d’attente – aversion forte pour le risque). D’autre part, les acteurs qui ont opté pour une stratégie de contournement, même si ce dernier n’est que de pure façade et ne change pas fondamentalement le risque de voir appliquer la loi française (voir mon article sur le Blog Dalloz) (stratégie de contournement – aversion moyenne pour le risque). Enfin, les entreprises qui ont choisi – en tout cas pendant une certaine période – de courir le risque d’une violation directe de la loi française (voir les tribulations judiciaires des dirigeants de Bwin) (stratégie d’affrontement – aversion faible pour le risque). L’avenir nous dira, peut-être, si le choix de l’une de ces stratégies s’avère plus opportun qu’un autre.

Sur le premier point, tout laisse penser que les acteurs ayant le plus anticipé cette évolution inévitable du cadre législatif français vont s’avérer les mieux armés pour survivre et se développer sur ce marché français qui va être dans peu de temps très fortement concurrentiel. Les anciens monopoleurs sauront-ils profiter de la rente de situation, ainsi que des ressources et des compétences, qu’ils ont pu construire durant de nombreuses années ? Les nouveaux entrants, dont certains sont largement présents sur d’autres marchés nationaux depuis des années, sauront-ils déployer les ressources et les compétences sur ce nouveau marché, certes fondamentalement peu différent de leurs marchés historiques ? Quelles stratégies d’alliance ou de partenariat vont se mettre en place, sachant que les gagnants seront ceux qui seront les plus aptes à créer de la valeur pour les consommateurs, au-delà d’un système de jeux en ligne sécurisé ? Ainsi l’accès à des contenus originaux et exclusifs, en particulier relativement à des compétitions sportives ou à des tournois de poker, sera vraisemblablement une donnée-clef de la rivalité entre les différents acteurs.

dimanche 11 octobre 2009

Vivendi contre-attaque...



Curieuse coïncidence. Alors que j'illustrais vendredi , sur ce blog, comment un site web bien pensé pouvait servir de moyen de communication utile pour fédérer les personnes intéressées à rejoindre une class action, le Figaro de ce samedi relatait la contre-attaque de Vivendi à l'encontre des actionnaires français ayant rejoint la class action menée aux Etats-Unis (voir le Blog du Figaro). La société Vivendi argue de l'abus d'ester en justice de la part des actionnaires en question, et particulièrement du recours abusif au forum shopping. Sans entrer dans le débat de droit, l'action menée par Vivendi constitue de toute évidence un signal destiné à dissuader d'éventuelles velléités d'avoir recours à un autre environnement juridique que l'environnement français. Toutefois, la tactique est périlleuse car, en cas d'échec de cette action, le signal perçu par le public sera tout autre...Par ailleurs, Vivendi a toujours la possibilité (enfin il me semble) de s'appuyer sur la règle du forum non conveniens afin que le juge américain refuse de statuer, au profit du juge français.

vendredi 9 octobre 2009

My Internet loves class actions



Une class action + un site web = l'effet boule de neige garanti
Voir deux exemples :
@ vivendi class action
@ Youtube class action

Le droit et son rapport au temps : l'efficacité relative des mesures pour préserver le libre jeu de la concurrence



Les tribulations du droit de la concurrence chez les stratèges...La Commission européenne a déclaré sa satisfaction quant à la proposition de Microsoft de faciliter le libre choix des consommateurs en matière de navigateur internet. La Commission va lancer une consultation afin de recueillir les commentaires sur les engagements pris par Microsoft.

Par ailleurs, sur le marché de la téléphonie mobile, AT&T a annoncé que les utilisateurs de l'iPhone, abonnés d'AT&T, pourront utiliser le programme Skype en 3G. Pour certains spécialistes, il s'agirait d'une réponse stratégique au partenariat noué entre Google et Verizon, et aux déclarations faites par la FCC.

Ceci étant dit, on peut aussi avoir une autre grille de lecture. Aujourd'hui, et encore plus dans un proche futur, la création de valeur provient surtout du contenu, et moins des technologies et des réseaux. Quand Microsoft se dit prêt à offrir sur Windows les navigateurs concurrents d'Explorer, la belle affaire...Après des années de captation de valeur par le biais d'un couplage "windows-explorer", Microsfot est passé à une autre stratégie. Dès lors, ce renoncement sur le terrain du navigateur Internet est en réalité une guerre dépassée...Quant à AT&T, est-ce vraiment le volume de communications téléphoniques qui constitue l'avenir de ses profits...?

En conclusion, une formule provocatrice : quand les autorités de la concurrence sont en retard d'une guerre, les acteurs économiques sont en avance d'une stratégie...

jeudi 8 octobre 2009

Actualités du Centre de recherche LegalEdhec



Parmi les actions et réalisations les plus récentes du Centre de recherche LegalEdhec :

- Article de C. Roquilly, « Le cas de l'iPhone en tant qu'illustration du rôle des ressources juridiques et de la capacité juridique dans le management de l'innovation", M@n@gement, 2009, 12(2), pp. 142-175

- A paraître, au Bulletin Joly, B. Fasterling, "Bilan du comply or explain par les sociétés françaises du SBF 120"

- Intervention de C. Roquilly à l'occasion du Business and Legal Forum, Paris, 13 et 14 octobre 2009, et présentation de l'étude sur "La perception par les dirigeants du droit et de ses praticiens". Pour plus d'information sur cet événement, http://www.businessandlegalforum.eu/

- Présentation par C. Roquilly et C. Collard de leur étude (EDHEC Publication Paper) intitulé : "De la conformité réglementaire à la performance , pour une approche multidimensionnelle du risque juridique", à l'occasion d'un événement organisé le 22 octobre 2009 par la société Protiviti, partenaire du Publication Paper. Pour toute information sur cet événement, vous pouvez me contacter : christophe.roquilly@edhec.edu

mardi 6 octobre 2009

Un exemple à ne pas suivre...


Un exemple à ne pas suivre...le mien ! Quand mon "maître à bloguer" Cédric "webguru" Manara m'avait expliqué les affres de la gestion d'un blog, il avait bien insisté sur la nécessité à se faire violence pour assurer des mises à jour régulières, sous peine de voir les quelques visiteurs se lasser d'un Blog statique et sans nouveauté. Il fut tellement convaincant que je me suis astreint à cette discipline, malgré quelques incartades. Le mois de juin s'est avéré pour moi terriblement chargé, à la fois sur le plan de la recherche, et sur le terrain de la création du MSc Legal & Tax Management que je co-anime avec mon ami (et collègue) Christophe Collard. Les vacances de juillet ont été salutairement placées sous le signe de l'abstinence au net, puis la reprise en août fut encore marquée par des travaux de recherche à terminer et la préparation de la rentrée universitaire. Bref, et pour en finir avec les aléas jubilatoires de mes activités qui, n'en doutons pas, passionnent les foules, j'ai constaté non sans tristesse que le temps de mon blog s'était arrété à la mi-juin...Une discussion matinale avec mon collègue Nicolas Petit, blogueur tellement productif (et juriste talentueux) que je le suspecte d'avoir recours au fameux "pot belge", a rallumé la flamme. Je reprends donc le fil, en essayant de ne pas le perdre à nouveau entre deux travaux de recherche, un cours, un épisode de Lost et une vidéo du groupe Phoenix.
Pour finir ce post utilement, ce qui justifiera la minute de lecture que vous y avez consacrée, voici l'adresse du nouveau Blog de Nicolas Petit : http://chillingcompetition.com/

See you soon!

jeudi 11 juin 2009

La navigation sur Internet peut-elle être régulée par la Commission européenne ?


Selon le Wall Street Journal, la Commissaire européenne pour la concurrence, Neelie Kroes, serait prête à accentuer la pression sur Microsoft afin que les navigateurs concurrents d'Internet Explorer puissent plus aisément toucher les utilisateurs de Windows. La mesure pourrait consister à obliger à ce que tout nouvel ordinateur personnel vendu avec windows, soit non seulement équipé d'Internet Explorer, mais également des autres navigateurs (Firefox, Opéra, Chrome, etc.). Pour mémoire, selon des données d'avril 2009, Internet Explorer représenterait 48% du marché, Firefox 39%, le reste des parts de marché étant réparties entre Safari, Opéra et Chrome. Cela peut-il constituer une menace stratégique pour Microsoft ? Rien n'est moins sur, dans la mesure où sa stratégie paraît de moins en moins tournée vers le "software", et de plus en plus vers le contenu et la publicité...

La conformité (ou compliance), l'arme défensive des good guys ?



Un certain nombre d'avocats américains, qui occupaient précédemment des postes au sein de l'administration Bush, ont exprimé qu'il fallait s'attendre à voir les contrôles de conformité réglementaire, notamment dans les secteurs bancaires et financiers, être accentués sous l'administration Obama. Ils estiment que le contexte actuel surpasse même celui de la période post-Enron, pourtant très marquée par une politique de contrôles et de poursuites judiciaires. L'expression qu'ils utilisent est totalement évocatrice : "It is 2002 on steroids". Ils conseillent donc aux entreprises de mettre en place des programmes de compliance - ou de renforcer de tels programmes - car ils permettent aux entreprises placées sous les feux des autorités de régulation ou des juges, de montrer leur bonne volonté à coopérer sur le chemin de la conformité. Ce débat m'inspire deux remarques. D'une part, l'efficacité des réglementations et des dispositifs de type "coercitif" est fortement mitigée, comme le montre un certain nombre de travaux. D'autre part, et sans vouloir nécessairement créer de lien direct avec mon billet précédent, les programmes de compliance ne peuvent entraîner un peu plus de tolérance de la part des autorités de contrôle et de sanction, qu'à condition qu'ils ne soient pas cosmétiques et de pure façade...

Le droit de la concurrence, un risque stratégique croissant aux Etats-Unis ?


Le gouvernement Obama a récemment déclaré qu'il souhaitait renforcer les contrôles, les poursuites et les sanctions en matière d'abus de position dominante, et tout particulièrement dans le secteur Hightech. Un certain nombre de spécialistes du droit de la concurrence, et notamment notre collègue Randal Picker de l'Université de Chicago, estiment qu'il s'agit là d'un signal que Google doit intégrer au regard de ses intentions stratégiques.

Intel Inside, Competition...too!

La condamnation récente par la Commission européenne d'Intel, pour un montant d'1 milliard d'euros, est arrivée alors que je relisais un article de Yoffie et Kwak, publié en 2001 dans la Harvard Business Review (n°79-6), et intitulé "Playing by the rules: How Intel avoids antitrust litigation". Dans cet article, les auteurs expliquent pourquoi Intel a rencontré beaucoup moins de problème que ses concurrents en matière de droit de la concurrence, grace à la mise en place d'un dispositif de conformité (documentation interne, séminaires de formation, simulations de contrôle par les autorités de la concurrence, etc.). Cette condamnation pour abus de position dominante sur le marché des processeurs x86, s'est matérialisée selon la Commission européenne, par des remises et paiements conditionnels, ainsi que par l'ingérence d'Intel dans les relations entre les fabricants d'ordinateurs et son concurrent AMD.


Intel conteste évidemment cette décision de la Commission. Sans entrer dans la substance du débat, cette décision interroge au regard de ce que Yoffie et Kwak ont pu souligner. Les programmes de conformité en droit de la concurrence développés au sein d'Intel, n'ont-ils servi qu'à une conformité de façade ? Etaient-ils uniquement adaptés au droit antitrust des Etats-Unis, et pas au droit européen ? Ont-ils été stoppés, sans qu'une réelle culture de la conformité n'ait pu s'installer ? Sont-ils effectifs, mais la stratégie d'Intel a justifié des actions risquées au regard du droit de la concurrence ? Autant de questions qui montrent la complexité du thème de la conformité réglementaire et des relations entre les autorités de régulation et les entreprises.

mercredi 10 juin 2009

Culture juridique d'entreprise

Comme vous le savez peut-être, le Centre de Recherche LegalEdhec dédie une partie de ses travaux aux rapports entre le droit et la stratégie d'entreprise. A ce titre, il est nécessaire de déterminer comment les décisions juridiques sont prises dans l'entreprise. La littérature en management et en stratégie nous apprend que la corporate culture ou l'organizational culture peuvent être essentielles dans l'acquisition d'avantages concurrentiels. Nous avons donc décidé de lancer une étude sur la "culture juridique d'entreprise", afin d'en savoir plus sur la manière dont la décision juridique se prend dans l'entreprise, à partir de quels déterminants, et avec quel effet sur sa performance. Cette étude est réalisée en partenariat avec l'Association Française des Juristes d'Entreprise (AFJE) (voir http://www.afje.org/) , et avec Connie Bagley (Yale School of Management) et Robert Bird (University of Connecticut). L'enquête réalisée auprès des membres de l'AFJE sera donc en même temps menée auprès des membres de l'ACC (Association of Corporation Counsels) aux Etats-Unis.

Une autre étude a été lancée. Elle est plus spécifiquement dédiée à la perception du droit (et de son impact sur les projets et les activités des entreprises) par les dirigeants. Menée en partenariat avec le Business & Legal Forum et l'Association des Edhec, cette étude (et ses résultats) seront présentés à l'occasion du Business & Legal Forum, qui se tiendra à Paris en octobre 2009.


mercredi 20 mai 2009

Long time no see...


Presque 3 mois de silence...J'espère qu'il reste encore quelques visiteurs sur ce blog. En fait, j'ai découvert la réelle difficulté à continuer l'alimentation d'un blog quand on est totalement débordé. Je connais certaines personnes qui ont su passer outre cet obstacle, mais j'ai du manquer de la disicpline de fer qui les caractérise. Ces derniers mois ont été marqués par une débauche d'énergie en matière de recherche. C'est loin d'être terminé mais je me suis dit que si je ne reprenais pas le chemin de mon blog, je ne le ferais jamais. Pour reprendre en douceur, et dans un but exclusivement promotionnel, quelques sorties littéraires ;-)

Vient de paraître chez Bruylant un ouvrage contenant une série d'articles autour du thème "Alternative enforcement techniques in EC competition law". Cet ouvrage a été coordonné par notre brillant collègue Nicolas Petit. Votre serviteur y a écrit un article intitulé "Competition law as a strategic issue for companies: Does private enforcement constitute a greater threat?". Je vous en recommande la lecture.

Paraîtra très prochainement chez Larcier un ouvrage coordonné par Antoine Masson, intitulé "Les stratégies juridiques des entreprises en Europe", qui contient mon article "Contribution à la reconnaissance de l'importance du droit dans la stratégie d'entreprise". Le site web de Larcier ne semble pas encore intégrer l'annonce de l'ouvrage, mais je sais que ça ne saurait tarder.

Enfin, toujours sous la coordination d'Antoine Masson, décidèment très actif, un autre ouvrage intitulé "Legal Strategies", qui sera publié chez Springer en septembre 2009. Là encore, un article de votre serviteur : "From Legal Monitoring to Legal Resources : A Contribution to Legal Strategy".

Bonnes lectures et, promis, je n'attendrai pas trois mois pour revenir !

vendredi 20 février 2009

De l'importance - à nouveau - de l'application du droit du Delaware


Dans un billet précédent, j'avais longuement cité un remarquable article de recherche montrant comment l'Etat du Delaware développe une stratégie judiciaire afin de maintenir son leadership en matière de droit des sociétés aux Etats-Unis, et par conséquent en matière d'immatriculation des sociétés. Une affaire récente vient en donner une nouvelle illustration. Un juge fédéral du district sud de New York a rejeté deux demandes engagées à l'encontre des dirigeants de Merrill Lynch. Ces demandes avaient été formées par des propriétaires de produits dérivés, qui reprochaient notamment aux dirigeants et aux administrateurs de la célèbre banque d'affaires, d'avoir laissé se développer des pertes d'actifs liées à des investissements risqués et d'avoir manqué à leur devoir fiducial. Rappelons que Merrill Lynch a été racheté par la Bank of America au mois de septembre 2009. Le juge saisi a considéré que la règle de la "continuing ownership" (selon laquelle un actionnaire ne peut engager une "derivative suit" à l'encontre d'une société cotée que s'il détient des actions de celle-ci) contenue dans le droit du Delaware devait s'appliquer, la société concernée étant immatriculée dans cet Etat. Or, suite à l'acquisition par Bank of America, les anciens actionnaires de Merrill Lynch se retrouveraient dans l'impossibilité d'intenter ce type d'action. Comme on peut le voir, la collusion entre l'applicabilité de la loi de l'Etat du Delaware et le rachat d'une société, peut retirer aux actionnaires, peut-être réellement lésés, une opportunité de procédure.

Un mode d'évaluation des facultés de droit : les chercheurs qui ne font pas grève...


Sous cet intitulé provocateur et à prendre au troisième degré, se cache un article intéressant que je souhaitais vous faire partager. Une faculté de droit américaine a récemment établi un classement des 10 premières law schools (américaines aussi) à partir de leur impact en matière de recherche. Je ne détaillerai pas la méthodologie utilisée, mais elle est basée sur les citations des articles écrits par les professeurs des law schools. Un moyen intéressant de mettre en évidence le niveau d'influence qu'exerce une institution d'enseignement supérieur dans la communauté scientifique.

De l'utilité de la pression des autorités de régulation : l'interopérabilité des accessoires


Tout consommateur heureux propriétaire d'un téléphone mobile, d'un ordinateur portable, d'un appareil photo numérique, ou tout autre produit "high tech", a déjà au moins une fois dans sa vie regretté que le chargeur ou la batterie d''une marque A ne puisse pas fonctionner sur un produit de marque B. Ce manque d'interopérabilité est totalement frustrant mais s'explique en partie par les rentes qu'en tirent tous les fabricants concernés. Sans volonté affichée de ces derniers d'évoluer vers une plus grande interopérabilité, seule la menace d'une intervention du législateur ou du régulateur peut modifier cette forme d'entente tacite. Ainsi le commissaire européen à l'industrie, Gunther Verheugen, ayant déclaré mi-février que la Commission européenne interviendrait si les fabricants de téléphones mobiles ne se mettaient pas d'accord sur un standard de chargeur, ceux-ci n'ont pas été longs à réagir...Quelques jours plus tard, les principaux fabricants (Nokia, Motorola, Sony, LG...) ont affirmé qu'un accord avait été signé afin d'aller dans le sens de chargeurs universels, qui pourraient être mis sur le marché d'ici 2012. Cela leur laisse néanmoins encore quelques années à profiter de la rente...Pour plus d'informations, voir le site out-law.

mardi 17 février 2009

L'Autorité de la concurrence ne siffle qu'une fois



Le Conseil de la concurrence a condamné récemment (le 5 février, pour être précis) la SNCF à une sanction de 5 millions d'euros. Après une enquête ayant duré 6 ans, l'autorité de la concurrence a en effet considéré que la SNCF avait favorisé ses filiales exploitant le site voyages-sncf.com et notamment sa filiale créée en partenariat avec Expedia, l'Agence Voyages-sncf.com, au détriment des concurrents de celles-ci. Ces agences concurrentes n'ont pas pu, pendant toute une période, commercialiser dans de bonnes conditions certaines offres promotionnelles de la SNCF, ni utiliser la fonctionalité des "billets imprimés", ce qui a entraîné un désavantage dans la concurrence par rapport à Voyages-sncf.com. La décision du Conseil de la concurrence décortique les différents comportements constituifs d'une entente illicite et d'un abus de position dominante. Comme souvent, et en particulier lorsqu'est en cause une activité "en ligne", l'analyse du marché pertinent est tout à fait intéressante.

Il reste à se demander - mais la question n'est pas nouvelle - si la filiale de la SNCF, de même qu'Expedia, n'ont toutefois pas réussi à se doter d'acquis stratégiques qu'il sera difficile de faire disparaître...

jeudi 5 février 2009

La Cour d'appel de Paris confirme...sans surprise : l'avantage sera t'il stratégique ?

C'est sans grande surprise que la Cour d'appel de Paris a confirmé, par un arrêt en date du 4 février 2009, la décision rendue par le Conseil de la concurrence, enjoignant à Apple et à France Télécom de suspendre leurs accords d'exclusivité, tant au niveau de la fourniture que de l'approvisionnement. La Cour d'appel rejette les arguments développés par Apple et France Télécom, et retient la perte du bénéfice du réglement d'exemption 2790-1999, eu égard à la présence de clauses contractuelles indésirables. Celles-ci sont constitutives d'un verrouillage du marché en ce qu'elles empêchent toute vente croisée active et restreignent considérablement les ventes actives ou passives aux utilisateurs finals. Le montage d'exclusivités issu des contrats passés entre Apple et Orange, est constitutif d'une atteinte à la concurrence dans la mesure où il présente un risque fort de cloisonnement du marché. Dès lors que l'article 81 § 1 du Traité CE trouve à s'appliquer, l'espoir des deux partenaires contractuels résidait dans la possibilité d'une exemption au titre du paragraphe 3. Orange a donc évidemment tenté de faire valoir que les contrats en cause se traduisaient par des gains d'efficience, favorables in fine aux consommateurs. Mais la cour d'appel balaie cette opportunité en s'en tenant à la froideur des données comptables. Selon les juges, Orange aurait dégagé grace à la vente des iPhone, un bénéfice net d'environ 139 millions d'euros, tout en ayant investi environ 16,5 millions d'euros pour les deux modèles (2G et 3G). Qui plus est, l'investissement pour l'opérateur était relativement peu risqué étant donné la notoriété des marques Apple et iPhone, et le succès rencontré par le produit aux Etats-Unis. De plus, le subventionnement assuré par l'opérateur ne saurait justifier à lui seul une exclusivité d'une durée aussi longue. La Cour d'appel de Paris conclut donc à la caractérisation d'une atteinte grave et immédiate justifiant des mesures conservatoires, les accords étant susceptibles de renforcer la position dominante d'Orange.

Sans présumer de la décision au fond, et sachant que certaines éléments retenus par la Cour d'appel de Paris (comme avant elle par le Conseil de la concurrence") peuvent être soumis à la critique (notamment l'assimilation iPod / iPhone, ou encore l'impossibilité de lire les fichiers musicaux achetés sur iTunes sur un autre terminal que l'iPod ou l'iPhone), il n'est guère discutable qu'Orange et Apple sont allés très loin dans le verrouillage du marché. Il est difficile de croire que le scénario d'une intervention des autorités de la concurrence, pouvant aboutir à une suspension - voire une interdiction définitive - des accords dans leur format actuel, n'ait pas été anticipé par les deux partenaires. Pour Apple, et comme j'ai pu l'écrire précédemment, les conséquences ne sont guère malheureuses, et les débouchés pour son produit s'en trouvent démultipliés. Pour Orange, les mois pendant lesquels les accords lui ont permis de créer et de capturer de la valeur, tant au niveau des solutions et des services accessibles sur son réseau de téléphonie mobile, qu'en terme de nouveaux abonnés et d'image de marque, lui ont donné un avantage concurrentiel. Celui-ci ne sera durable que si Orange est capable de capitaliser sur ces acquis, et de continuer à capter une clientèle grace à un produit qu'Orange ne sera plus seul à pouvoir distribuer ou à accueillir sur son réseau à des conditions avantageuses.

samedi 24 janvier 2009

Attractivité des environnements juridiques : l'exemple de l'Etat du Delaware


Je conseille vivement la lecture de l'article écrit par T. P. Glynn, publié dans la Northwestern Universiy Law Review 2008, 102(1), p. 91-143, et intitulé "Delaware's vantagepoint: the empire strikes back in the post-post-Enron era". Cet article illustre parfaitement comment un Etat peut défendre l'attractivité de son système juridique en déployant une stratégie juridique (en l'espèce il s'agit plus particulièrement d'une stratégie judiciaire). L'Etat du Delaware est réputé pour son régime en droit des sociétés, particulièrement favorable aux dirigeants et très utilisé pour mettre en place des barrières contre les OPA hostiles. Sachant que ce sont en général les dirigeants qui décident du lieu d'immatriculation de la société (en tout cas aux Etats Unis), l'Etat du Delaware accueille environ 60% des immatriculations des sociétés cotées américaines. Dans la période ayant suivi le scandale Enron et le Sarbanes-Oxley Act, l'Etat du Delaware n'a pas instauré une nouvelle réglementation, ni mis en place une réforme administrative, dont l'objectif aurait été de renforcer la surveillance des dirigeants et le contrôle interne. Toutefois, eu égard au contexte, l'Etat du Delaware peut considérer de types de menaces. D'une part, le risque d'une intervention fédérale qui se traduirait par des règles fédérales en matière de corporate governance, et qui oterait au régime juridique offert par le Delaware une partie de son intérêt. D'autre part, le risque de voir se développer une jurisprudence dans d'autres Etats (notamment la Californie) susceptible de réduire la portée du droit du Delaware.

Face à ces menaces, le Delaware a réagi à travers ses autorités judiciaires, et plus particulièrement sa fameuse Court of Chancery (dont la compétnce en matière de droit des sociétés est largement reconnue) et sa Cour suprême. Dans une décision de 2006 (Walt Disney Co. Derivative Litigation), la Cour suprême a envoyé un signal quant à sa volonté d'éviter les abus dans l'indemnisation des dirigeants. Ce signal a pour objectif de montrer au pouvoir fédéral que le Delaware est conscient de l'importance d'une saine corporate governance, quitte à ce que la position de la Cour suprême du Delaware s'adoucisse une fois la menace éloignée... Dans la décision VantagePoint Venture Partners, la Cour suprême du Delaware affirme la valeur constitutionnelle (par rapport à la Constitution de l'Etat du Delaware) de la doctrine dite des "affaires internes". En quelques mots, cela signifie qu'à partir du moment où un litige est relatif aux relations internes à une société (relations entre les dirigeants et les actionnaires; relations entre la société et les actionnaires; relations entre la société et les dirigeants), alors le droit du Delaware doit s'appliquer si cette société est immatriculée dans cet Etat. L'objectif recherché est clair : empêcher les juridictions d'autres Etats d'intervenir dans les "affaires internes" d'une société ayant choisi de se placer sous l'empire du droit du Delaware. Evidemment, la décision de la Cour suprême de cet Etat n'engage pas les juridictions des autres Etats. Mais le risque de conflits de juridictions en découlant, pourrait éventuellement amener les autorités fédérales à intervenir, dans un sens potentiellement favorable à l'Etat du Delaware. L'importance de la décision VantagePoint prend encore plus d'ampleur quand on songe que la société concernée dans cette décision est une société non cotée...Le marché de l'immatriculation de cette catégorie de sociétés est en effet à conquérir, sachant que celui des sociétés cotées stagne...

La conclusion de l'auteur est particulièrement éclairante. La stratégie du Delaware vis à vis de la menace fédérale est plutôt une stratégie d'apaisement, alors que la stratégie par rapport à la menace provenant des autres Etats est plutôt une stratégie agressive.

Stratégies juridiques et barrières à l'entrée

Dans un rapport de novembre 2008, la Commission européenne stigmatise les pratiques mises en œuvre par certaines entreprises pharmaceutiques. Celles-ci, en tirant parti des opportunités offertes par le droit des brevets, ont pu développer une stratégie à la fois offensive et défensive, se traduisant par des grappes de brevets et de nombreux contentieux, et ce en vue de contrarier les stratégies des fabricants de génériques. Une enquête sectorielle a été lancée par la Commission européenne. Elle pourrait le cas échéant déboucher sur des poursuites fondées sur le droit européen de la concurrence.

dimanche 4 janvier 2009

The Long Arm of the Law


Cornerstone Research Securities et Stanford Law School observent l'évolution des "class actions" dans le domaine des placements financiers. Leur dernier rapport montre qu'après une période d'accalmie, le premier trimestre de l'année 2008 fut riche en procédures. L'un des éléments qui a attiré mon attention est le pourcentage non négligeable d'actions engagées à l'encontre de sociétés non-américaines, et notament européennes. Cette intervention croissante du droit "US" dans les affaires de sociétés de nationalité étrangère, m'a rappelé la lecture du très intéressant article de Blake Redding, publié en 2007 dans la RDAI (Blake Redding, The Long Arm of the Law ou le risque hégémonique de la réglementation américaine sur les marchés internationaux, RDAI, 5, p. 659-667). Pour vous donner envie de lire cet article, deux citations extraites de son introduction : "The long arm of the law est une expression qui trouve ses origines dans les westerns en référence à une justice implacable, déterminée à traquer et punir les malfaiteurs, même au fin fond d'un wild west fort peu civilisé" et "l'impact de la réglementation américaine sur la vie économique des entreprises non-américaines, souvent inattendu, n'en est pas moins totalement disproportionné."

samedi 3 janvier 2009

Le Conseil de la concurrence sera t'il "l'iPhone killer" pour Orange ?


Comme promis, j'apporte dans ce billet des éléments plus fournis quant à la Décision du Conseil de la concurrence n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008 relative à des pratiques mises en oeuvre dans la distribution des iPhones.

Le Conseil de la concurrence mobilise de nombreuses données chiffrées pour analyser le cas particulier du contrat passé entre Apple et Orange. D'une part, les parts de marché de la téléphonie mobile en France, montrant la position de leader occupée par Orange (43,5% pour Orange; 33,7% pour SFR; 17,3% pour Bouygues Telecom). D'autre part, les données fournies par l'ARCEP et relatives aux parts de marché des terminaux mobiles dits "smartphone" : en juin 2008, l'iPhone 2G était le 3ème smartphone le plus vendu au monde avec 5,3% de parts de marché, derrière le Nokia (46,7%) et le Blackberry (13,4%). Au 3ème trimestre 2008, l'iPhone serait passé à 17,3%, le Blackberry à 15,2%, le Nokia reculant à 38,9%. L'iPhone est devenu le mobile le plus vendu aux Etats-Unis (une croissance de l'iPhone de + 523% entre le 3ème trimestre 2007 et le 3ème trimestre 2008). De plus, selon les déclarations d'Orange, 50% des ventes d'iPhone 3G concerneraient de nouveaux clients. Le Conseil de la concurrence insiste beaucoup sur la particularité des smartphones, la forte croissance de ce marché (entre 10% et 13% des ventes mondiales de téléphones mobiles; une croissance de 60% par an), et le fait que l'augmentation des revenus sur le marché de la téléphonie mobile est notamment tirée par les innovations commerciales et technologiques.

En lisant entre les lignes, le raisonnement du Conseil de la concurrence est assez clair : l'iPhone est un produit en pleine croissance sur un marché lui aussi en pleine croissance, qui est très important pour l'évolution du marché de la téléphonie mobile (des smartphones de plus en plus riches en fonctionnalités).

Le Conseil de la concurrence s'attache également à signaler que le changement de modèle économique pour la distribution de l'iPhone en France (d'un modèle non-subventionné vers un modèle subventionné, avec des prix révisés à l'approche des fêtes de fin d'année) n'est pas neutre, dans la mesure où, une fois de plus selon une étude de l'ARCEP, les offres associant un service mobile et un terminal subventionné occupent une place prééminente.

Le Conseil de la concurrence met également en relief le fait que l'environnement Apple renforce l'attractivité de l'iPhone (comme je l'avais évoqué dans mon article publié aux Petites Affiches). Il est fait référence aux parts de marché de l'iPod au 1er trimestre 2008 (70% de parts de marché; 42,2% en France), ainsi que celles détenues par iTunes sur le marché de la musique numérique (entre 70% et 80% en janvier 2008; entre 60% et 70% en France), sachant que l'iPhone doit être activé sur la plate-forme iTunes.

Le Conseil de la concurrence se livre alors à une comparaison "facile" : le prix de l'iPhone subventionné et le prix de l'iPod (dans leurs versions 8 GO et 16 GO), pour en conclure que l'iPhone devient pour le consommateur un substitut intéressant à l'iPod étant donné qu'il a, notamment, les fonctionnalités d'un Ipod, tout en coûtant moins cher. Que faut-il entendre par ce raisonnement ? Que iPhone = iPod, et donc que l'iPhone a une position fortement dominante sur le marché des baladeurs numériques ? Le raisonnement semblerait quelque peu singulier, d'autant qu'il ne tient pas compte du coût que représente l'abonnement téléphonique, et qu'il convient d'ajouter au prix de l'iPhone. L'analyse du Conseil de la concurrence montre au moins qu'il sent bien la difficulté à déterminer le marché de référence (ou marché pertinent), d'où la volonté de démontrer que quelque soit le marché choisi, la position dominante existe...

Le Conseil de la concurrence s'intèresse ensuite plus spécifiquement aux contrats passés entre Apple et Orange, d'une part quant au réseau de téléphonie mobile et d'autre part quant à la distribution de l'iPhone. L'évolution d'un modèle de partage des revenus vers un modèle subventionné est bien expliquée. Quant à la distribution de l'iPhone, il ressort de l'analyse du Conseil de la concurrence que cette distribution est très contrôlée, de manière à préserver à la fois les intérêts d'Apple et ceux d'Orange, notamment en évitant tout contournement de l'exclusivité par le biais d'importations parallèles.

Après avoir livré l'ensemble des informations à sa disposition quant aux marchés concernés et aux stipulations contractuelles, le Conseil de la concurrence s'interroge sur le (les) marché(s) pertinent(s) en cause. On retiendra notamment l'interrogation relative au marché des terminaux : faut-il ou non distinguer un segment "smartphone" ? , et le fait que le Conseil de la concurrence affirme qu'au niveau du marché aval, il ne peut être exclu que le fait qu'un distributeur serait le seul à offrir un smartphone, aurait un effet sur son pouvoir de marché, même si celui-ci est également fonction de la compétitivité de son offre de téléphonie mobile. Il reconnait qu'il n'est toutefois pas possible pour l'instant d'estimer la part de France Telecom sur un marché limité aux smartphones ou PDA. Le Conseil de la concurrence précise également qu'il ne peut être exclu qu'Apple occupe une position dominante sur le marché des baladeurs numériques, ainsi que sur le marché du téléchargement payant de la musique en ligne. On a ici envie de dire "et alors" ? Quel impact peut avoir le contrat passé entre Orange et Apple sur ces marchés ? Quel lien existe entre ces marchés et celui des téléphones mobiles ou des smartphones ?

Concernant les pratiques en cause, telles qu'elles ressortent du contrat, le Conseil de la concurrence relève plusieurs restrictions verticales affectant la revente aux consommateurs finaux, qui entraineraient une perte de présomption de la légalité de l'accord, dès lors qu'il n'y a pas d'avantages objectifs de nature à compenser le préjudice causé à la concurrence, et sachant que le seuil de sensibilité de 30% doit s'apprécier au niveau de l'acheteur (Orange) lorsque l'accord contient une obligation de fourniture exclusive (Apple fournit exclusivement Orange). Or Orange détient plus de 30% des parts de marché (mais de quel marché ?). Le Conseil de la concurrence retient, en plus, la notoriété de la marque Apple et sa forte position sur le marché des baladeurs numériques, et donc le possible effet de levier sur le marché des terminaux mobiles (mais quelle peut être la réalité de cet effet de levier ?), ainsi que la "protection par plus de 200 brevets" (mais ces 200 brevets ont-ils été octroyés ? Permettent-ils réellement de verouiller l'accès à certaines technologies ? Quand on voit le développement récent des mobiles à écran tactile, notamment sur la dernière version du Blackberry, on peut en douter...)

Pour le Conseil de la concurrence, c'est sur le marché des services de téléphonie mobile que doivent être observés les effets de l'exclusivité. Cela peut-il renforcer la position d'Orange ? Après avoir rappelé les handicaps du marché français de la téléphonie mobile, le Conseil de la concurrence tire la conclusion que la durée et l'étendue de l'exclusivité accordée à Orange, ainsi que l'attractivité du produit, sont susceptibles de renforcer la position dominante d'Orange sur le marché de la téléphonie mobile étant donné la faible intensité concurrentielle sur celui-ci.

Quant aux gains d'efficience qui seraient générés par l'accord Apple/Orange, le Conseil de la concurrence estime qu'ils ne compenseraient pas l'atteinte à la concurrence. Enfin, l'autorité de la concurrence insiste aussi sur l'effet de réseau créé par les DRM et la position de la plate-forme iTunes : "la musique achetée sur l'iTunes Store ne peut être transférée sur un autre smartphone"..."les consommateurs ne peuvent changer de marque de smartphone sans perdre leur bibliothèque musicale". Cela est inexact dans la mesure où les conversions de format de fichier sont possibles, permettant alors, avec un minimum de patience et d'effort, de pouvoir lire les fichiers achetés sur iTunes sur d'autres terminaux que l'iPhone ou l'iPod, et de pouvoir lire sur un iPhone ou un iPod des fichiers provenant d'autres sources que iTunes.

Pour conclure, plusieurs éléments marquants peuvent être retirés de cette décision du Conseil de la concurrence. Du point de vue de la stratégie d'Apple, cette décision n'est pas réellement handicapante dans la mesure où elle vient mettre à mal un modèle économique qui ne servait les intérêts d'Apple que dans une première étape. Elle est vraisemblablement plus contrariante pour Orange, même si l'entreprise a la capacité de capturer la valeur qu'elle a su créer grace au contrat passé avec Apple. Le changement de modèle économique, vers un modèle "subventionné", paraît avoir été déterminant dans la décision du Conseil de la concurrence. Sur le plan juridique, Orange et Apple vont avoir la possibilité de préparer leurs arguments pour tenter d'infléchir en appel cette décision. Ces arguments devront porter sur le marché de référence et les gains d'efficience, tout en combattant certaines informations, telles que celle relative à la non-interopérabilité absolue des fichiers musicaux. Néanmoins, si les clauses "noires" ne sont pas supprimées dans le contrat, la bataille s'annonce extrêmement difficile. Mais Orange n'a t'il pas d'ores et déjà capitalisé sur l'avantage stratégique qu'il a su provoquer...